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ministérielle ou des incidens extérieurs d’une réelle gravité auraient pu seuls affecter l’optimisme systématique du marché, encouragé par les dispositions si nettement orientées à la hausse des places de Vienne, de Berlin et de Londres. Or le ministère a résisté jusqu’ici victorieusement à toutes les attaques, et les affaires d’Egypte n’ont pas pris un seul jour un caractère menaçant.

Une émotion assez vive cependant a été provoquée par la présentation à la chambre des députés du projet d’impôt sur les opérations de Bourse. On sait que la réforme des droits sur les boissons, telle que l’a réalisée la chambre, laissait un déficit, évalué par la commission et par le gouvernement à une vingtaine de millions, chiffre qui sera très largement dépassé en réalité. Entre autres expédiens auxquels il a été recouru pour combler cette insuffisance, la commission a saisi d’abord celui que lui offrait M. Tirard, et dont une appréciation absolument arbitraire fixait le rendement à douze millions. Ce projet de loi n’était pas une simple mesure fiscale ; une habile rédaction lui donnait une toute autre portée. Après avoir établi un droit équivalant à 10 pour 100 environ du courtage sur les opérations de Bourse, il stipulait que toutes les opérations portant sur les titres visés par l’article 76 du code de commerce (titres cotés ou susceptibles de l’être) devraient être faites par l’intermédiaire des agens de change. Il résolvait ainsi, par voie indirecte, la question toujours pendante des relations de la coulisse et du parquet, ou, plus exactement, de l’existence légale du marché libre. En fait, il supprimait ce marché en réduisant son activité aux seules opérations sur les valeurs non cotées ou non susceptibles d’être cotées.

Les trois cents maisons qui constituent le marché libre de Paris ont très vivement protesté contre une mesure dont l’application devait anéantir leur industrie ; une délégation a porté leurs doléances devant la commission du budget. Celle-ci a entendu en outre les représentans des agens de change, et ceux des banquiers et des principales institutions de crédit. La presse, s’emparant de la question, a fait ressortir le danger d’une désorganisation financière de la place parisienne alors que dans quelques mois la conversion du 4 1/2 sera devenue possible. Le projet d’impôt, attaqué à la fois dans son principe et dans la plupart de ses clauses, devra être profondément remanié avant d’affronter le verdict de la chambre. Déjà, le ministre et la commission du budget ont décidé d’exonérer du nouvel impôt toutes les opérations sur les rentes françaises. Cette atténuation laisserait subsister une partie de la coulisse ; mais que produirait alors cette taxe réduite ? Deux ou trois millions à peine, selon toute vraisemblance. Est-il bien opportun, pour un si mince résultat, d’opérer une véritable révolution sur notre marché ?

Il est important de rappeler, à propos de l’impôt projeté, que des