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royaume d’Orient, le roi Milan de Serbie et la reine Nathalie, qui offrent à l’Europe le divertissement de leur réconciliation ! C’est à Biarritz, aux bords de la mer cantabrique, à Biarritz illustré jadis par les entrevues de M. de Bismarck avec Napoléon III, et tout récemment par le séjour du vieux Gladstone, c’est là que le mémorable événement s’est accompli, que la paix parait avoir été signée entre les deux époux ennemis. C’était bien la peine d’agiter un pays pour des différends de ménage, d’assourdir l’Europe de querelles presque féroces. Il n’y a que quelques années, en effet, le roi Milan a donné au monde cette triste représentation d’une guerre implacable contre la jeune femme qu’il avait associée au règne. Il l’a poursuivie dans ses droits de souveraine et de mère, dans sa considération ; il n’a pas reculé devant des brutalités de pouvoir pour faire prononcer son divorce. Cette reine diffamée et répudiée, il faut l’avouer, s’est défendue avec une énergie toute virile ; elle a rendu guerre pour guerre et n’a cédé qu’à la violence. Entre les deux princes, il y a eu de lamentables scènes. Ils se sont disputé publiquement, devant le peuple serbe, la tutelle de leur fils. Ils ont risqué de troubler, par leurs bruyantes dissensions, la paix intérieure du pays, et leur dernière ressource a été de se retirer en laissant la couronne à un enfant, qui est aujourd’hui le jeune roi Alexandre de Serbie, place sous une régence nationale. C’est bien, certes, un des plus curieux exemples de guerre conjugale sur le trône. Les plus violentes querelles entre un roi et une reine ont cependant, à ce qu’il paraît, leur terme, et tout finit par une réconciliation ! Le plus piquant, c’est que la paix ne leur rend pas la couronne et que ces époux réconciliés restent en définitive des époux divorcés.

Que va-t-il arriver maintenant ? Le roi Milan, après avoir fait violence à un métropolite pour obtenir l’annulation de son mariage, va-t-il imposer à un autre chef religieux l’annulation de son divorce ? La situation est au moins bizarre. Quant à la signification politique de cette réconciliation, elle ne peut être bien sérieuse. Le jeune roi Alexandre, en bon fils, a envoyé ses complimens à ses parens, pour la paix qu’ils ont signée ; les Serbes fidèles aux Obrenowitch se sont réjouis de l’événement. C’est tout jusqu’ici. Les deux souverains n’ont pas témoigné l’intention de rentrer à Belgrade, où ils ne paraissent pas être bien désirés, — et ce qu’ils ont certainement de mieux à faire est de vivre en paix, sans essayer de ressaisir une influence qui n’a pas été favorable pour le jeune royaume des Balkans.


CH. DE MAZADE.