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campagne libérale, qui récemment encore venait un instant retremper ses forces sous le climat de Biarritz, méditait son grand projet d’émancipation irlandaise ; on ne savait pas encore ce que serait ce projet, et à mesure qu’on approchait de la session qui s’ouvre aujourd’hui, l’opinion commençait à se montrer incertaine ou impatiente. Les conservateurs profitaient du silence ministériel pour reprendre confiance. M. Balfour s’amusait même à prophétiser avec commisération la chute prochaine du cabinet libéral. Plus d’un signe semblait révéler que la politique intérieure du cabinet rencontrerait de sérieuses difficultés. On en était là lorsqu’est survenue tout d’un coup une diversion extérieure et avant que M. Gladstone n’engage sa lutte pour le home-rule, c’est lord Rosebery qui est entré en scène avec la question égyptienne, un peu aussi avec une question du Maroc, comme pour ressaisir l’opinion et préluder à une session peut-être difficile.

Que s’est-il donc passé ? La question du Maroc n’est pas évidemment la plus importante, quoique ce qui se passe à cette extrémité du continent africain ne soit jamais sans gravité pour des puissances comme la France ou l’Espagne. Lord Salisbury, à la veille de livrer sa bataille électorale qu’il a perdue, avait eu l’idée d’une de ces missions qui flattent toujours l’orgueil britannique, en attestant la prépondérance de l’Angleterre. Il avait envoyé un plénipotentiaire, sir Evan Smith, à Fez, auprès du.sultan avec un projet de traité qu’il était chargé d’obtenir ou d’imposer. Malheureusement la mission de sir Evan Smith, au lieu d’être un succès propre à capter l’opinion anglaise, était un échec accompagné de scènes presque violentes que lord Salisbury n’avait pas le temps de venger. C’est cet échec que lord Rosebery a tenu sans doute à réparer, en organisant une mission nouvelle dont il a chargé sir West Ridgeway. Quel est au juste le dernier mot de cette mission nouvelle ? On ne le sait pas trop encore ; on sait seulement que le chef du foreign office s’est empressé de donner les explications les plus rassurantes, que sir West Ridgeway a dû passer par Madrid pour calmer les susceptibilités espagnoles toujours en éveil de ce côté. Jusqu’ici ce n’est qu’une démonstration de la diplomatie anglaise ; mais la mission du Maroc a été bientôt éclipsée par les incidens bien autrement graves qui se sont succédé du côté du Nil, — et ici, il faut l’avouer, tout a été aussi rapide qu’imprévu. En un instant, la question égyptienne s’est trouvée réveillée et a provoqué un retour offensif de la prépotence britannique.

En réalité, de quoi s’agit-il ? Il y a au Caire un vice-roi de moins de vingt ans, Abbas-Pacha, successeur de son père Tewfik, mort l’an dernier. Légalement, diplomatiquement, il est indépendant, ou du moins il est censé ne dépendre que de la suzeraineté de la Porte ; en fait, il est sous la dure loi d’un protectorat étranger, représenté par un homme