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soupirer et gémir, les petits anges que le musicien de Zwickau nous montre tout en pleurs sur le chemin des hymens sans amour. Enfin, lorsque l’amant auquel Schumann prête sa voix, et quelle voix ! supplie les fleurs de se hausser sur leurs tiges, les oiseaux de chanter, les étoiles de descendre pour le consoler, ne ressemble-t-il pas à Werther, et ne prend-il pas comme lui toute la nature à témoin de son martyre ? Mais ce n’est pas seulement par le fond que l’œuvre de M. Massenet rappelle les lieder, c’est par la forme aussi ; par les formes plutôt, formes brèves, peu précises, flottantes souvent, qui disent beaucoup et font beaucoup penser en peu de notes ou d’accords, qui parfois semblent se dissoudre dans l’atmosphère et devenir cette atmosphère elle-même, l’air qui nous enveloppe, nous baigne, et que nous respirons. Werther, par exemple, est aux antipodes de Samson et Dalila, que nous avons dernièrement étudié : classique et plastique, voilà ce que l’une des deux œuvres est le plus et l’autre le moins. Enfin, comme Schumann toujours, l’auteur de Werther aime à partager l’expression de sa pensée entre le chant et l’accompagnement, entre les instrumens et les voix. Presque tout à l’orchestre, telle est, il me semble, la devise ou la formule de la nouvelle partition, et ce presque importe beaucoup ; l’à-peu-près, ou le tour à tour plutôt, étant ici marque de goût, de tact et de sagesse. Werther n’est pas une œuvre de système, ni une œuvre de rigueur, mais de grâce et de liberté ; une œuvre d’alternative, et l’alternative, on le sait, plaît aux muses : amant alterna Camœnæ. Avec cela pourtant, l’œuvre est une, et elle est unie ; variés y sont les moyens et les effets, sans y être heurtés ni contradictoires, et bien que faite surtout de charmans détails, de petites choses, il n’y a rien d’éparpillé dans l’impression qu’elle produit ni dans le souvenir qu’elle laisse.

Le premier acte, par le pittoresque du décor musical, la justesse de l’analyse sentimentale et la finesse des tons, est un tableau délicieux. Un beau matin d’été, le bailli de Walheim apprend à ses six enfans un Noël. Les petits attaquent d’abord de travers, ou faux, ou trop fort ; l’orchestre fait de son mieux pour les rattraper, les maintenir, pour défendre la mesure et le rythme, mais les cris, les rires s’envolent avec les traits et les trilles indisciplinés. Peu à peu cependant le solfège s’assure et le gentil cantique sagement se déroule et s’achève. Surviennent deux joyeux compagnons, amis du bailli, Johann et Schmidt, non pas tout à fait chantant, mais plutôt parlant en musique, tandis que l’orchestre, sous leur déclamation notée, fait ronfler comme un refrain de gaîté allemande. Le thème a du caractère, un peu la même allure que le trio de la Symphonie pastorale, et le musicien le développe, le file avec l’ingéniosité que vous devinez, le mêlant au thème du cantique, l’effaçant devant d’autres thèmes, le