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comme on dit, des accens qui ne trompent pas. Mais ce qui est moins trompeur encore, c’est la liaison nécessaire des idées de Lamennais entre elles. Telle qu’il la concevait dès le temps même de l’Essai sur l’Indifférence, la religion était pour lui la religion des humbles. « Philosophes, s’écriait-il, parlez moins de la dignité de l’homme, ou respectez-la davantage. Quoi ! c’est au nom de la raison, c’est en exaltant avec emphase ses droits imprescriptibles que vous condamnez hardiment plus des trois quarts du genre humain à être la dupe de l’imposture… Et vous vous imaginez qu’en jetant la religion au peuple, et en lui disant que c’est pour lui un frein nécessaire, il s’empressera de le saisir, en vous abandonnant les rênes ! Vraiment, je vois que cela serait assez commode. Il s’abstiendrait pour vous et vous jouiriez pour lui. » Et en effet, telle était bien, comme on sait, la religion de Voltaire. Bonne pour la « canaille, » ce que Voltaire ne pardonnait pas à la religion chrétienne, c’était tout justement l’humilité de ses origines. Mais, au contraire, c’était ce que Lamennais en devait surtout aimer, glorifier, prêcher un jour, et si l’on ne saurait nier, je crois, qu’il y ait quelque chose de démocratique dans l’Évangile, c’est d’abord ce qu’il y a lu.

Aussi longtemps donc qu’il a cru pouvoir, par les moyens dont il disposait, ou qu’il essayait d’organiser, ramener le christianisme à la pureté de son institution primitive, le débarrasser de la rouille des temps, et renouveler en lui, pour ainsi dire, le caractère démocratique, ou populaire, si l’on veut, de sa première propagande, Lamennais est demeuré non-seulement catholique, mais le plus ferme soutien et le défenseur le plus hardi du catholicisme. Lorsqu’il lui a semblé que, bien loin de soutenir l’Église et la religion, l’alliance des puissances, — qu’il fallait qu’on payât, et souvent de quel prix ! de quelle servitude ou de quelles complaisances ! — rendait la religion et l’Eglise suspectes aux « peuples, » il n’a pas hésité à dénoncer publiquement une solidarité désormais dangereuse, et sans déclarer encore la guerre aux rois, il a commencé de les traiter en alliés pour le moins inutiles. Et, en effet, n’étaient-ils pas au premier rang de ces « indifférens » pour qui la religion n’était en somme qu’une politique, un instrument de règne, un moyen d’oppression au besoin ? Mais quand il se vit enfin abandonné de la papauté même, il ne se plaignit pas, il s’indigna plutôt, et comme il était de ceux que la contradiction enfonce dans leurs opinions, il devint hérétique pour n’avoir point voulu renoncer à des convictions qu’on avait jadis encouragées en lui, qui faisaient d’ailleurs le fond ou la substance de sa pensée, qui étaient sa personne même. C’est alors que, débarrassé désormais de toute contrainte, il se laissa naturellement entraîner à la pente sur laquelle, non sans effort, il s’était jusque-là retenu. Sans avoir besoin pour cela de l’aiguillon de la colère, mais surtout, sans