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à la mise en valeur des plaines de la Béotie. Il en est de même pour l’Argolide. Les plus vieux mythes s’accordaient à la présenter comme la région de la Grèce qui avait été la première visitée par les navires des marins de l’Orient, et, par suite, la première initiée aux usages de la vie policée ; avant même que la bêche des ouvriers de Schliemann eût fait scintiller l’or enfoui dans les tombes, on pouvait tenir pour certain que là, dans les campagnes qui entourent cette rade spacieuse, aux eaux tranquilles, dont l’ouverture est tournée vers le soleil levant, il s’était produit, de très bonne heure, tout un développement d’activité agricole, industrielle et commerciale. Seule une population très dense, pressée dans la plaine et dans les vallées latérales qui y aboutissaient, a pu fournir aux princes de ce pays les milliers de bras dont ils eurent besoin pour tailler et monter les matériaux des remparts énormes de leurs châteaux-forts, Larissa, Mycènes, Tirynthe, où la légende faisait naître Hercule. À mesurer l’épaisseur de ces murailles et à constater l’habileté professionnelle dont la preuve est faite par des constructions telles que le prétendu Trésor d’Atrée, l’historien, s’il n’avait pas été élevé dans un parti-pris de scepticisme, aurait accordé plus de créance aux mythes argiens ; ils lui auraient révélé une civilisation contemporaine de ces dynasties des Perséides et des Pélopides dont la puissance et la gloire ont été célébrées par les aèdes, prédécesseurs d’Homère.

Tout ce que l’on entrevoyait de cette civilisation, c’étaient ses bâtimens. Les lions de Mycènes étaient le seul échantillon que l’on possédât de sa sculpture. Il ne semblait pas que l’on pût jamais définir les caractères de son industrie et de ses arts. Les descriptions de l’épopée se rapportaient à une autre période de l’évolution du génie grec, et d’ailleurs, comme toutes les descriptions que l’on ne peut pas confronter avec les objets eux-mêmes, elles laissaient place à bien des incertitudes ; on n’espérait pas retrouver des ouvrages de la plastique qui datassent du temps d’Homère. Aujourd’hui, nous remontons, par les monumens, bien au-delà de ce qui paraissait devoir être la limite que l’on n’atteindrait pas. Les fouilles ont livré tout le matériel d’une civilisation qui a devancé de très loin celle de cette Ionie où a fleuri la merveille de l’épopée, d’un art qui avait achevé de parcourir sa carrière avant l’invasion dorienne.


GEORGE PERROT.