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Homère, elle était la capitale d’un royaume dont le souverain commandait l’armée grecque, devant Troie. Déchue de bonne heure, elle fut détruite, en 468 avant notre ère, par les Argiens, qui ne pouvaient lui pardonner son ancienne gloire et surtout le parti qu’elle avait pris d’envoyer un contingent de quatre-vingts hommes à l’armée grecque, dans la guerre médique, pendant qu’Argos s’enfermait dans une neutralité suspecte.

L’attention s’était portée tout d’abord sur le mamelon dans lequel on avait reconnu la citadelle de Mycènes. L’enceinte qui l’enveloppe n’est pas faite de blocs aussi énormes que celle de Tirynthe ; mais, à cette différence près, on y retrouve les mêmes procédés de facture ; on y sent le bras et l’outil des mêmes ouvriers. Ce qui avait piqué davantage encore la curiosité, c’était le groupe étrange des deux lionnes affrontées qui se dressent, au-dessus du linteau de la porte principale, comme une menace adressée à l’ennemi, vers lequel étaient tournées leurs têtes aujourd’hui brisées, ce groupe qui était seul à représenter la forme vivante, dans la nudité sévère de cette rude et grandiose architecture. On s’était aussi fort intéressé à ces chambres rondes que l’on rencontrait, parmi des débris de maisons, dans ce qui paraissait avoir été la ville basse, et on en avait étudié le mode de construction, qui joue la voûte par la superposition d’anneaux circulaires de plus en plus étroits, d’assises posées à plat, en encorbellement, les unes au-dessus des autres. Gell, Dodwell et Abel Blouet avaient dessiné la muraille, la porte aux lions et le prétendu trésor d’Atrée ; mais, depuis l’expédition de Morée, en 1829, la connaissance de ce genre d’antiquités n’avait pas fait un pas. La science, qui avait été de l’avant, si vite et si sûrement, dans d’autres directions, en était restée, pour tout ce qui concernait cette période, à ses constatations et à ses conjectures premières. Si, tout d’un coup, elle se remit en marche, pour regagner, avec une rapidité étonnante, tout le temps perdu, ce fut grâce à une sorte d’intuition de Schliemann, de cet homme singulier qui a mis au service d’une passion ardente, avec toutes les ressources d’une fortune très considérable, la volonté tenace, le sens pratique et le goût de l’action qu’avaient développé chez lui des commencemens difficiles et le maniement des grandes affaires hardiment menées.

Sa biographie, Schliemann l’a écrite lui-même avec un curieux mélange de franchise et de calcul ; on la trouvera en tête de l’ouvrage où il a résumé toutes ses recherches sur Troie[1]. On

  1. Ilios, ville et pays des Troyens, traduit de l’anglais par Mme Emile Egger, grand in-8o ; Firmin-Didot, 1885.