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et les deux questions ne se sont confondues que peu à peu, au fur et à mesure que se faisait la lumière. L’évolution qui s’est produite à ce sujet dans l’esprit de M. Edmond Théry est même tout à fait caractéristique.

Sans doute, les chiffres fournis par lui s’arrêtent à l’année 1885 ; mais leur sincérité et leur valeur n’en sont que plus incontestables ; car ils ont singulièrement empiré depuis cette période. Ce qui rend l’étude des phénomènes économiques particulièrement délicate, c’est la difficulté que l’on éprouve à bien discerner leurs effets propres des conséquences que peuvent entraîner d’autres phénomènes connexes ou secondaires. La création d’une voie de communication n’est-elle pas, notamment, le point de départ d’une foule d’actions réflexes dont l’importance croît assez rapidement pour masquer ou affecter profondément le fait originel considéré en lui-même ?

Dans l’espèce, la période d’observation n’aurait pu être prolongée de beaucoup, car la rupture des relations commerciales entre la France et l’Italie est venue jeter dans les rapports de ces deux pays et des nations voisines un trouble tel qu’on ne saurait se dispenser d’en tenir le plus grand compte. Loin de contrarier les constatations de M. Théry, cette circonstance n’a tait qu’y ajouter et les aggraver.

Il suffit, pour s’en convaincre, de mettre en parallèle le développement relatif des deux ports de Gênes et de Marseille. Déjà, de 1881 à 1885, pendant les quatre années qui ont suivi le percement du Saint-Gothard, le mouvement général de Gênes avait progressé de 626,377 tonnes, accroissement qui représentait le double de l’augmentation totale de 344,605 tonnes, relevée au cours des dix années précédentes, de 1872 à 1881. Et il est naturel de conclure que cette augmentation est toute au détriment du commerce français, ainsi que cela ressort des renseignemens récemment fournis par M. Augustin Féraud, président de la chambre de commerce de Marseille.

De 1880 à 1890, le tonnage de Gênes s’est développé dans la proportion de 116 pour 100, et Marseille n’a gagné que 22 pour 100. Il y a là un symptôme d’autant plus inquiétant et suggestif que la stagnation du commerce marseillais ne saurait être attribuée à un événement fortuit. Elle ne peut être que l’indice d’une décadence prochaine ; car, seul parmi les grands ports qui tiennent la tête du commerce maritime en Europe, alors que le mouvement de Hambourg a augmenté de 145 pour 100, celui d’Anvers de 82 pour 100, Marseille décline en pleine paix, après vingt ans de complète sécurité, après une période plus longue encore, passée