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Cette évaluation, quelque peu ardue, a fait l’objet de plusieurs tentatives.

Le percement du Mont-Cenis n’avait fait naître que des espérances. La voie était française et desservait des intérêts avant tout nationaux, qu’elle avait pour but de favoriser presque exclusivement. On ne s’arrêtait guère à cette considération que la nouvelle ligne réussirait, pour partie, en proportion du tort qu’elle causerait au Bas-Rhône et à Marseille. Cette région se trouvait ainsi sacrifiée dans une certaine mesure, et l’on n’en était pas autrement ému.

Mais lorsqu’à son tour l’ouverture d’un tunnel à travers le Saint-Gothard fut décidée, lorsque l’on vit quel haut prix l’Italie, l’Allemagne et la Suisse attachaient à la réalisation de cette entreprise, lorsque furent connus les sacrifices considérables consentis par ces trois pays pour contribuer à l’exécution des travaux, sacrifices qui représentaient déjà à cette époque la somme respectable de 113 millions, une certaine anxiété se répandit dans les sphères gouvernementales.

Le 8 février 1881, M. Amédée Marteau fut chargé par le président du conseil, ministre des affaires étrangères, de rechercher l’influence que le Saint-Gothard pourrait avoir sur la situation commerciale de la France. Voici quelles furent les conclusions du rapport rédigé à la suite de cette mission. Il ne peut être question du détournement au profit de l’Italie, de Gênes en particulier, d’un grand courant international se dirigeant de l’Angleterre vers l’Orient et spécialement vers les Indes, par la raison péremptoire et toute simple que ce courant n’existe pas et ne saurait exister. Le prix du fret pour ces destinations n’est pas plus élevé à Londres et dans les autres ports du royaume-uni, qu’à Marseille ou à Gênes, et l’escale sur ces deux points du littoral entraînerait des dépenses et des retards que la marine britannique est trop soucieuse d’éviter. De ce côté donc, rien à redouter. En revanche, le trafic direct de l’Angleterre et de la Belgique avec l’Italie se trouve menacé, et les marchandises qui sortent par Modane, en provenance de ces deux pays, tomberont dans la zone d’attraction du Saint-Gothard.

Si, se plaçant à un autre point de vue, on envisage la concurrence que Gênes, désormais favorisée par une sensible réduction de parcours, peut faire à Marseille, quant à présent il n’y a pas trop lieu de s’alarmer. Le développement des opérations du premier de ces ports est encore entravé par l’insuffisance des installations, que l’on se propose du reste d’étendre dans de vastes proportions. Puis Marseille a cette supériorité d’être le grand marché de la Méditerranée, et c’est la principale des raisons pour