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appelé, grâce aux voies ferrées qui le desservent, à prendre la meilleure part des dépouilles d’un rival envié et trop longtemps triomphant.

Si l’on n’y prenait garde, Gênes aurait bientôt réalisé cette ambition. L’ouverture du Mont-Cenis, en assurant à ce port l’avantage sur Marseille d’une moindre distance de 430 kilomètres environ, a eu pour résultat de le mettre en relations immédiates par le bassin supérieur du Rhône avec le Nord de la France, par le Rhin avec une partie de l’Allemagne, et de reporter à Brindisi le point d’attache de la malle des Indes. Le percement du Saint-Gothard a encore aggravé cette situation. Les marchandises expédiées par l’Angleterre, la Belgique, la Hollande, la Suisse allemande et l’Alsace-Lorraine à destination du littoral de la Méditerranée et de l’Asie se détournent des rails français pour suivre de Bâle à Gênes un itinéraire dont la longueur ne dépasse pas 532 kilomètres, alors que cette même ville est séparée de Marseille par une distance de 773 kilomètres. Enfin, quand l’entreprise du Simplon sera réalisée, cette nouvelle trouée n’enlèvera pas seulement à la France la clientèle de la Suisse romande, déjà sérieusement compromise par le rejet de la convention franco-suisse voté par la chambre des députés dans sa séance du 24 décembre ; elle amènera encore une dérivation vers Milan des provenances du Havre, de Rouen, de Paris, des régions du Centre et de l’Ouest.

La ville de Gênes a fait, d’ailleurs, les sacrifices et les efforts nécessaires pour profiter de ces circonstances et pour justifier les préférences dont elle est l’objet de la part de l’Allemagne, de la Hollande, de la Belgique et de la Suisse, laveurs qui se traduisent par un sensible abaissement des tarifs internationaux. Rien n’a été négligé pour outiller et améliorer son port, relié désormais périodiquement et d’une façon régulière à New-York, Bombay, Calcutta, Singapour, Batavia, Buenos-Ayres, Montevideo, au Mexique, à la Vera-Cruz et aux Antilles. C’est ainsi qu’elle est parvenue à priver la France d’une partie de son trafic en céréales, farines, cotons, huiles, vins et autres denrées que l’Europe centrale consomme en grande quantité.


II

Il serait intéressant d’analyser les effets et de connaître exactement la répercussion que cette mise en relations directes de pays, jusqu’alors privés de communications faciles entre eux, n’a pu manquer de produire sur leur intermédiaire pour ainsi dire obligé, sur la France, sur son commerce, sur ses industries de transports.