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qu’il s’en trouve pour les rapprocher[1] ? C’est là, disait Grætz l’historien, la mission nationale, il n’osait écrire la mission providentielle des Juifs[2]. Que ne s’y adonnent-ils en plus grand nombre ? Dissiper les nuages de préjugés amoncelés entre les peuples contemporains, ce serait un bel office, car s’ils savaient mieux se comprendre, les peuples auraient moins de peine à s’entendre.

On nous représente parfois les Juifs semant la haine entre les nations, pour les mettre aux prises, afin de s’enrichir de leurs dépouilles et d’établir sur les Gentils l’empire d’Israël. C’est mal connaître l’esprit de Juda. Ils n’étaient pas d’Israël, les trois convives de Berlin qui, en juillet 1870, laissaient tomber leurs fourchettes à la pensée que la guerre menaçait de leur échapper. Le Juif est pacifique. Cela n’est pas seulement vrai du tempérament juif, qu’on ne soupçonne guère d’habitude d’instincts belliqueux, cela l’est non moins du judaïsme. S’il y a quelque chose de constant dans sa tradition, c’est l’amour de la paix, la glorification de la paix. Ici encore le judaïsme est d’accord avec le christianisme, parce qu’ils ont tous deux même fondement. Comment oublier qu’il a ses racines dans l’hébraïsme, le grand dogme de la fraternité humaine, apporté au monde par les apôtres de Galilée, ce dogme judéo-chrétien, auquel tant de modernes prétendent réduire toute religion et toute morale ? Ces Juifs, taxés d’un incurable esprit de tribu, ont proclamé les premiers que les hommes étaient frères, descendant du même Adam, de la même Ève. — Pourquoi, demande le Talmud, n’y a-t-il eu d’abord qu’un seul Adam ? C’est afin que les hommes eussent tous le même père, et qu’une nation ne pût dire à l’autre : Nos ancêtres étaient plus riches ou plus grands que les tiens. — Tous les hommes sont frères, toutes les nations sont sœurs ; « toutes, dit le Seigneur à Abraham, seront bénies en toi[3]. » Et cette fraternité humaine que ses livres plaçaient au berceau du genre humain, les voyans de Juda l’ont projetée sur l’avenir. Au temps où l’Assyrien mitre écrasait les peuples sous la roue de ses chars de guerre, le Juif captif osait annoncer qu’un jour viendrait où la concorde et la paix régneraient à jamais parmi les nations. La fraternité primitive doit être rétablie à la fin des temps. On en connaît les emblèmes prophétiques ; ce sont ceux de l’Éden : l’agneau habitera avec le loup, le chevreau gîtera près du léopard. Beau symbole et noble espérance ! Qu’est-ce à dire, si ce n’est

  1. Théodore Reinach, Histoire des Israélites, p. 387.
  2. Geschichte der Juden, t. XI, p. 406 et suivantes.
  3. Genèse, XII, 3.