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de France, nous donnant des leçons de patriotisme avec des leçons de langue française, révélant à nos enfans le sens de nos révolutions et la mission de l’esprit français. En vérité, il en est auxquels nous serions tentés de jeter parfois, avec le patricien romain, le Tacete quibus Roma noverca est. Mais ces Français de fraîche date ne sortent pas tous d’Israël. Il est du reste, — heureusement pour nos voisins, — peu de nations comme la France, où, grâce aux passions politiques et au fanatisme sectaire, l’on ait tout profit à n’être pas du pays. Juifs ou chrétiens, avant de confier aux immigrés et aux naturalisés les mandats électifs ou les emplois publics, il serait juste de leur faire faire un stage[1].

Entre tous les étrangers qui nous font l’honneur de se fixer chez nous (la France, on le sait, est devenue un pays d’immigration), ceux qui se francisent le plus vite, c’est peut-être les israélites. Beaucoup de ces Juifs ne laissent pas de patrie derrière eux, et s’il est un pays où le Juif puisse trouver une patrie, c’est la France. Elle a été la première à l’émanciper, la première à lui reconnaître le titre de citoyen. Il y a de cela plus de cent ans et, sauf un instant, sous Napoléon Ier, jamais en France les droits des israélites n’ont été sérieusement contestés. Et ce qui ne se voit point dans tous les pays qui, à notre exemple, leur ont accordé l’égalité civile, les mœurs en France sont depuis longtemps d’accord avec la loi. Les israélites sont entrés dans la société française ; ils ne forment pas à Paris, comme à Berlin ou à Vienne, une société à part ; ils sont du tout Paris. Nous entendons quelquefois parler de société juive, c’est comme on parle de société protestante ; cela s’applique à certains groupes, à certains salons ; cela ne comporte d’habitude aucune idée d’exclusion ou de confinement. Nous ne savons plus fermer notre porte. Avons-nous un défaut, c’est plutôt de faire bon accueil à tout venant. Nous oublions trop que la facilité de nos mœurs et la forme de nos institutions ont fait de Paris un aimant pour tous les brasseurs d’affaires et les coureurs de fortune. La société parisienne, la plus nombreuse sans doute et la plus variée du globe, est demeurée la plus ouverte ; c’est une des choses pour lesquelles il fait bon vivre à Paris, — une des choses aussi qui nous amènent tant d’étrangers et tant d’aventuriers.

  1. J’ai entendu remarquer que, de 1876 à 1890, la république avait eu, en moins de quinze ans, trois ministres des affaires étrangères d’origine étrangère. C’est beaucoup, bien qu’il s’agisse d’hommes dont le patriotisme français était au-dessus de tout soupçon. De ces trois ministres, de sang étranger, un seul, Gambetta, tenait à Israël. Sur ce point, je dois maintenir ce que j’ai dit ici même, non que le père de Gambetta fut juif de religion, mais qu’il était Juif de race. Le fait, je le répéterai, a été confirmé à un de mes amis par Gambetta lui-même.