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reconnaissant le caractère religieux. Autour de la tête et des joues de la plèbe juive, s’engagea une lutte analogue à celle combattue, quelque cent ans plus tôt, autour du menton des raskolniks, par Pierre le Grand[1]. Comme autrefois les vieux croyans sous le tsar réformateur, des Juifs appréhendés par la police furent rasés et tondus d’autorité. — « Quelle est des deux puissances celle que préfèrent vos coreligionnaires, l’Autriche ou la Russie ? » demandai-je, il y a une quinzaine d’années, à un Juif de Cracovie qui m’escortait aux mines de Wiéliczka. Un étranger en Pologne ne peut guère se passer d’un Juif, ne fût-ce que pour s’affranchir de l’importunité des autres. En homme prudent, mon guide se fit prier pour répondre ; puis, comme je le pressais : « La plupart, me dit-il, avec un sourire malicieux, aiment mieux l’Autriche. — Et pourquoi cela ? — Parce que l’Autriche leur permet de porter leurs boucles. » — Boutade ou non, ce n’était pas si mal répondu. Le droit de porter des papillotes a son prix, et ce n’est pas seulement pour leur coiffure que les Juifs sont plus libres, sous l’aigle autrichienne que sous l’aigle russe.

Dans les juiveries de l’Orient, le costume des femmes, tout comme le costume des hommes, varie selon les pays. Peut-être le plus gracieux est-il celui des Juives de Smyrne, avec leurs pantalons bouffans et leurs vestes échancrées sur la poitrine. Le plus richement grotesque est celui des grasses Juives de Tunis, aux caleçons collans, lamelles d’or ou d’argent. En Pologne, les Juives ont généralement abandonné l’ancien diadème de leurs grand’ mères. Elles sont à plaindre, ces Juives de l’Est ; leurs maris ont souvent encore le mauvais goût de leur raser le front. Une fois mariée, la femme ne doit plus chercher à plaire. Cette nudité de leur tête, les victimes la dissimulent sous un flot de dentelles jaunies, ou sous de lisses perruques, ou de luisans bandeaux de satin. Beaucoup, en se mariant, mettent déjà comme condition qu’elles ne seront pas rasées. L’usage en est passé dans les familles riches. Les Juives ne s’y font aucun scrupule de suivre nos modes, elles ne craignent pas de porter leurs cheveux et de les friser. Elles ne cherchent à se distinguer des chrétiennes qu’en se montrant plus élégantes.

Est-ce bien du reste le Juif qui a voulu se séparer de nous par le costume ? Nous savons que, le plus souvent, c’est tout le contraire. En mainte contrée, le Juif qui oserait s’habiller comme le chrétien ou le musulman s’exposerait à des avanies. Durant des siècles, chrétiens et musulmans le lui ont interdit. Pour mieux le tenir à l’écart, nous l’avions marqué de signes distinctifs qui ne

  1. Voyez l’Empire des tsars et les Russes, t. III ; la Religion, liv. III, ch. II.