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des pays habités par leurs pères. Cela est vrai des israélites du Nord comme de ceux du Midi, des Juifs allemands aussi bien que des Juifs portugais. D’où fient, en effet, cette distinction des Askenazim et des Sephardim, cette sorte de schisme historique qui a coupé Israël en deux tronçons inégaux ? A-t-elle rien à voir avec les tribus de Jacob ? Nullement. C’est une distinction toute nationale, toute géographique ; elle est plutôt aryenne que sémitique ; elle a, pour unique origine, la marque imprimée par les nations sur les descendans d’Abraham. Juifs allemands et Juifs espagnols, Askenazim et Sephardim étaient si bien devenus les enfans du pays où les avait jetés la dispersion ; ils s’étaient, malgré tout, si bien naturalisés parmi les fils de Japhet que, lorsqu’après une séparation d’un millier d’années ils se sont rencontrés sur les étapes d’un nouvel exode, ces frères séparés ont eu peine à se reconnaître. À Jérusalem, aux bords du Danube, en France, en Hollande, en Angleterre, en Amérique, ils ont longtemps formé des communautés distinctes, presque hostiles, ayant chacune sa langue, ses synagogues, son rite, ses usages. Askenazim et Sephardim étaient devenus étrangers les uns aux autres et se regardaient comme deux nations différentes. Au lendemain de 1789, les Juifs portugais de Bordeaux pétitionnaient encore pour n’être pas confondus avec les Juifs allemands d’Alsace, voire même avec les Juifs français du Comtat. Il y a moins de cent ans, les mariages, d’Askenazim à Sephardim, étaient rares. Pour rendre à ces tronçons d’Israël conscience de leur solidarité, il a fallu les attaques de leurs adversaires communs.

Après cela, comment soutenir que le Juif demeure imperméable au milieu national qui l’entoure ? Toute son histoire prouve le contraire. Il n’est peut-être pas de communauté israélite, pour isolée qu’elle semble, qui n’ait beaucoup emprunté de ses voisins chrétiens ou musulmans. Nous allons en trouver la preuve dans ce qu’on donne d’ordinaire comme le signe, on pourrait dire l’enseigne du particularisme d’Israël, dans les vêtemens qu’il porte, dans les langues qu’il parle. Prenez les juiveries de l’est de l’Europe, en apparence les plus fermées, ce qu’on appelle le costume juif, ou le parler juif, n’avait d’habitude, à l’origine, rien de juif. Ce qui distingue extérieurement le Juif de nous lui a été, le plus souvent, imposé à dessein, par nous. Qu’on le prenne aux temps modernes ou au moyen âge, l’israélite, qui dans une société hostile s’enferme en son exclusivisme et se calfeutre dans ses traditions, tend peu à peu à s’assimiler aux chrétiens, partout où il a le droit de le faire. C’est l’histoire de l’homme au manteau : la bise glaciale de la persécution le contraint à demeurer enveloppé