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d’agrandir dans la suite. On nous décrit une balustrade en porphyre surmontée de colonnes d’albâtre ; au-dessus, une architrave en argent avec calices, fleurs de lis et vases lumineux ; au milieu, une arcade couronnée d’une statue du Sauveur en or avec de grands anges en argent. Les colonnes d’albâtre étaient torses et vitinées (enlacées de feuilles de vigne sculptées), et la tradition les faisait venir du temple de Salomon (Hérode ? ) ; ce qui est plus sûr, c’est qu’elles ont inspiré l’affreux tabernacle de Bernini. Au lieu de rajuster péniblement, après tant d’autres, les données confuses qui nous sont parvenues sur ce célèbre chancel de Saint-Pierre, j’aime mieux indiquer aux curieux le seul document figuré qu’il soit possible, je crois, de consulter dans la matière : la fresque dans la Salle de Constantin qui a pour sujet « la donation de Rome au pape Sylvestre. » La scène se passe dans l’église vaticane ; et là, au fond, en avant de la tribune et du maître-autel, on voit des colonnes torses montées sur un stylobate et soutenant une architrave à laquelle sont suspendues des lampes. La reproduction est-elle exacte en tout point ? Je n’oserais l’affirmer : mais elle est l’œuvre de Jules Romain et de ses compagnons ; elle date du temps où le chancel était encore debout, et elle devrait mettre nos antiquaires en garde contre des essais de restitution par trop fantaisistes. J’allais oublier que Raphaël lui-même s’est évidemment souvenu des vitineae de la balustrade dans un de ses arrazi où il avait à représenter le porche du temple de Jérusalem[1].

À l’exemple de tous les autres trônes épiscopaux des anciennes églises, la cathedra Petri du Vatican, — Galla Placidia en fait déjà mention dans une lettre à Théodose le Grand, — fut primitivement installée dans la tribune, derrière la Confession et le maître-autel. Pour des raisons que je ne m’explique pas, elle a été après transférée d’un oratoire à l’autre de la vieille basilique et n’a repris la place traditionnelle de l’abside que dans le Saint-Pierre nouveau ; Bernini lui a construit alors la monstrueuse enveloppe que l’on sait, et d’où elle ne fut plus retirée qu’une seule fois, en juin 1867, au centenaire de l’apôtre. J’étais à Rome pendant le centenaire, et j’ai pu contempler de plus près la célèbre chaire dérobée aux regards depuis deux siècles. C’est un grand siège à porteurs (sella gestatoria) de chêne jaunâtre et vermoulu ; le châssis du devant est d’un bois noir d’acacia. Sur les bords du dossier, ainsi que sur le châssis, on voit des listels et de petits carrés d’ivoire, sculptés ou gravés, et représentant des combats d’animaux, des luttes de Centaures, des signes du Zodiaque et les douze travaux d’Hercule.

  1. Vatican (galerie des tapisseries) : Saint Pierre guérissant l’estropié.