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diminuer ou à limiter les incidens, à chercher des diversions de parti, on ne se dérobera pas à cette vérité : elle est désormais claire et saisissante. Cette désastreuse affaire de Panama, dont on a retardé l’explosion tant qu’on l’a pu, elle n’est qu’un signe des temps : c’est la fin visible d’un ordre de choses fatalement jugé par ses œuvres et par ses résultats. Et ce ne sont pourtant pas les avertissemens qui ont manqué à mesure que s’est développée cette situation dont on voit aujourd’hui les tristes fruits. C’est le dernier mot d’une génération qui s’épuise.

Depuis plus de dix ans, en effet, il s’est formé à la surface du pays une classe de républicains impatiens, avides de domination, qui se sont jetés sur le pouvoir comme sur une proie, qui ont prétendu faire de la république une propriété de parti, un monopole de secte. Ils ont régné en maîtres jaloux et exclusifs, traitant les plus simples dissidences en ennemies, flattant et captant les masses pour s’en servir. Toute leur politique est d’avoir une majorité : ils l’ont créée tant bien que mal par cet artifice d’une concentration qui n’a été qu’une association équivoque d’intérêts de parti ; ils l’ont maintenue tant qu’ils l’ont pu, en mettant en commun leurs passions et leurs préjugés, en se livrant mutuellement, tantôt la paix morale et la sécurité des croyances, tantôt les garanties de l’ordre financier, un jour l’inviolabilité de la magistrature, un autre jour la paix sociale elle-même mise en péril par les agitations ouvrières ou socialistes. Si par hasard ils se sentaient ébranlés ou près de se diviser, le moyen était tout simple, le grand argument était tout prêt : ils laissaient entrevoir la conspiration monarchique ou ils soulevaient une fois de plus la question cléricale ; ils invoquaient la solidarité républicaine ! On allait sans broncher au scrutin ! L’essentiel était de maintenir la majorité, de rester les maîtres. Pourvu qu’on se dît républicain ou qu’on prétendît défendre l’intérêt républicain, la laïcisation, les lois scolaires, on pouvait tout faire sans scrupule.

Est-ce que récemment encore un ministre n’a pas avoué avec une désinvolture cynique ou hardie, comme on voudra, qu’il avait exclu d’un examen, pour le plus modeste emploi, des jeunes gens suspects d’avoir des familles ou des relations réactionnaires ? Est-ce qu’il n’est pas avéré que des bureaux de bienfaisance ont refusé du pain à des malheureux, à des indigens, parce que ces indigens envoyaient leurs enfans dans des écoles religieuses ? Est-ce qu’on n’est pas convenu qu’on pouvait mendier la complicité des financiers véreux dans un intérêt politique, pour servir la candidature des députés menacés ? Est-ce que pour ménager les radicaux on n’a pas fait fléchir la loi devant des grèves, qui étaient de vraies séditions, devant des manifestations d’anarchie socialiste ? Le fait est que, sous prétexte de servir l’intérêt républicain, on s’est accoutumé à ne plus distinguer entre le