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faut pour faire que l’avenir ne ressemble pas au passé. N’attendons rien de trop du progrès, et, au besoin, rabattons quelque chose des espérances démesurées qu’il a suscitées jadis parmi les hommes ; rabattons-en même beaucoup. Mais cependant ne le nions pas en tout ; et, pour n’être pas aussi plein de sens que nous le voudrions, ni surtout aussi riche de promesses, ne croyons pourtant pas que le mot en soit tout à fait vide.

Il nous reste à dire quelques mots de la tendance la plus générale, et la plus intéressante, à de certains égards, du livre de M. Gumplowicz. Elle lui est, d’ailleurs, commune encore avec plus d’un de nos Français, parmi lesquels nous citerons M. Guyau pour son livre sur l’Art au point de vue sociologique, et M. G. Tarde, pour ses Lois de l’Imitation ou ses Transformations du Droit. Mais elle répond surtout à une transformation, pour ne pas dire à un renversement de la méthode des sciences sociales, et c’est à ce titre ici qu’elle mérite qu’on la signale. Au lieu donc qu’il n’y a pas si longtemps encore, on partait en sociologie de la considération de l’Individu, comme on faisait en linguistique de celle du Mot ou même de la Racine, au contraire, on part aujourd’hui de la considération de la Phrase ou de la Proposition en linguistique, et de la considération du Groupe en sociologie. Quoi de plus naturel, si jamais ni nulle part, on n’a rencontré l’homme isolé, ni la famille même autrement qu’à l’état de tribu ? Quoi de plus légitime, — je veux dire de plus conforme à l’observation et à la raison en même temps, — si de nos jours même encore, dans nos sociétés civilisées, l’individualité se greffe, pour ainsi parler, s’ente et se nourrit sur un fonds de ressemblance avec tous les hommes du même sang ? Et quoi de plus fécond, si cette méthode ne peut manquer de diriger notre attention sur une quantité de faits jusqu’à présent inobservés ? Aussi, sous ce rapport, ne saurions-nous trop recommander la lecture du livre de M. Gumplowicz. C’est à cet égard qu’il est vraiment instructif, et, comme on dit, suggestif. C’en est aussi là, je crois, la partie solide, celle qui demeurerait encore, si d’ailleurs toutes les objections que nous avons faites aux autres étaient ou paraissaient justifiées. Être avant tout social ou sociable, comme l’appelait Aristote, on ne peut que se tromper sur l’homme aussi souvent que, pour le mieux étudier, on l’isole, et bien loin que la connaissance de l’individu doive commencer par lui-même, au contraire, c’est toujours par celle de sa race ou de sa nation, de son groupe, de sa tribu, de son clan, de sa famille.

Reviendrons-nous maintenant, pour finir, de ces considérations sociologiques à des considérations purement littéraires ? Nous le pourrions, au moins, et sans beaucoup de peine. Car l’influence