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— Vos semblables, vos voisins ne vous semblaient-ils pas égoïstes et durs ?

— Non. Ils avaient bon cœur, mais ils ne savaient pas ; ils ne pouvaient deviner… et je ne saurais les blâmer.

— Avez-vous trouvé dans la religion un appui et un secours ?

— Oui. Sans elle j’aurais succombé, tant le fardeau était lourd. Ce n’est pas que je sois ce que l’on appelle une femme dévote. Mais j’avais la foi ; je croyais à la justice et à la miséricorde de mon Dieu.

Sa foi était simple, sa nature vaillante. Tombée de haut, elle était restée femme, soucieuse des siens et d’elle-même, dissimulant sa misère, la portant sans faiblir. Instruite et artiste, elle fit de sa fille, qui dirige aujourd’hui l’une des grandes écoles féminines des États de l’Est, une femme distinguée. De son fils, elle fit un homme dont la carrière s’annonce brillante. Dans son intrépide indépendance, elle ne compta que sur son Dieu et sur elle-même, jamais sur autrui, non pas même sur les siens. Un pays qui produit de pareilles femmes a le droit d’en être fier.


V

Étant donnés le point de départ de la femme aux États-Unis, l’égalité avec l’homme, puis la prépondérance intellectuelle et sociale, les charmes de son sexe affinés et développés par la sélection naturelle, par les unions entre jeunes filles libres dans leur choix et une race de colons énergiques, vigoureux, profondément imbus de convictions religieuses et respectueux du lien conjugal, la femme devait nécessairement apparaître, à un moment donné, comme l’expression définitive, le type supérieur de la race et du milieu. Elle l’est aujourd’hui, et c’est avec un légitime orgueil que l’Américain la montre à l’Europe comme l’œuvre la plus achevée de sa civilisation deux fois séculaire.

Et, sur ce point, l’Europe lui donne raison. L’Américaine y est aussi populaire que lui-même l’est encore peu, nonobstant ses incontestables qualités et de non moins incontestables exceptions. La preuve en est l’accueil que le monde européen fait à la femme américaine et qui ne s’adresse pas uniquement à sa fortune présumée. Certes, les traditions d’outre-mer sont en voie de se modifier en ce qui concerne la question de la dot, et les millionnaires du Nouveau-Monde se montrent, sous ce rapport, plus généreux que les capitalistes du nôtre ; mais ce sont là encore des exceptions. Si la princesse Colonna, belle-fille du richissime M. Mackay, a