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« Votre royaume est grand, lui répondit-elle fièrement, il ne l’est cependant pas assez pour deux reines. » Devenue Française par son union, elle est Française par le cœur. De sa nationalité américaine, de ses affections de famille, il ne reste pas trace. Elle méprise sa nationalité et sa famille ; elle voudrait les oublier, les faire oublier autour d’elle, à son fils surtout qu’elle emmène à Genève pour son éducation.

Singulier choix, car elle veut qu’il soit catholique, « la seule religion possible, écrit-elle, pour des princes et des rois. » Elle-même est protestante, si peu que cela vaut à peine qu’on en parle. Mais à la passion des grandeurs elle joint celle de l’économie ; nous verrons plus loin jusqu’où elle la poussait. À Genève, elle se flatte de peu dépenser. On l’exploite ; elle l’affirme du moins et s’en venge par une de ces injustes boutades qui lui sont familières : « Avez-vous remarqué, écrit-elle à son père, qu’il n’y a pas de juifs à Genève ? Qu’y feraient-ils ? Ils y mourraient de faim ; un Genevois vaut quatre juifs. »

En ce qui concerne sa famille, elle est intraitable. Elle ne pardonne pas aux siens d’avoir blâmé son mariage, non plus que l’accueil qu’elle reçut d’eux lors de son retour à Baltimore, après la rupture de son union. Blessée dans ses affections conjugales, exaspérée dans son orgueil, elle trouva, en effet, peu de sympathies parmi eux. Leurs conseils d’abdiquer sos rêves de grandeur et de se renfermer dans la vie modeste et monotone d’une petite ville d’Amérique, pour sages qu’ils pouvaient être, ne faisaient qu’irriter ses regrets et aviver ses rancunes. Les merveilleux succès de l’empereur, l’élévation rapide de son mari, ces grandeurs éclatantes, ces royaumes conquis au pas de course, ce brillant entourage de souverains alliés, vaincus ou dépossédés, tous ces échos d’un monde dont elle était exclue et au sein duquel elle s’estimait appelée à vivre, la rendaient plus intolérante et plus aigrie, plus dédaigneuse et plus méprisante.

À la chute de l’empire, elle s’établit à Florence. C’est là que nous la retrouvons en 1829. Jérôme-Napoléon avait alors vingt-quatre ans. Dépourvu d’ambition, mais non de bon sens, il préférait à la vie errante d’un aventurier sur le continent européen, l’obscurité de sa ville natale et l’existence simple, mais digne de son grand-père. Cédant à ses sollicitations, car il tenait d’elle la volonté tenace, sa mère lui avait enfin permis de retourner à Baltimore ; quant à l’y suivre, elle n’y songeait pas ; elle restait à Florence, tout absorbée par son idée de préparer à son fils une alliance digne du nom qu’il portait. Plus que jamais elle blâmait en lui ce qu’elle appelait son apathie, ses goûts vulgaires ; mais elle faisait