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mesure que la prospérité s’accroît, la tâche de la femme diminuant alors que le fardeau de l’homme reste le même, les loisirs de l’une contrastant avec l’écrasant labeur de l’autre. Son intelligence, à elle, se développe et s’étend ; celle de l’homme se spécialise et se concentre, son éducation première est limitée, le travail rémunérateur l’attend et le prend de bonne heure. Pour elle, au début égale et compagne de l’homme, elle lui devient peu à peu supérieure par les loisirs qu’il lui crée et l’usage qu’elle en fait ; par la culture intellectuelle, par l’étendue et la variété des connaissances, par l’avance qu’elle sait prendre et garder. Elle est la résultante d’un concours de circonstances qui ne se sont encore trouvées réunies au même degré nulle part ailleurs, et qui toutes ont contribué à faire d’elle le type supérieur de la race. En elle, se combinent et se fondent les traits caractéristiques qui, chez l’homme plus spécialisé, apparaissent accentués, grossis, exagérés, aussi bien par le libre jeu des instincts naturels que par la nécessité de s’en Lire une arme dans la lutte pour l’existence, de leur demander leur maximum de force et d’utilité pratique. Chez la femme, ces caractères persistent, mais tempérés et contenus ; elle en adoucit les angles, en polit les facettes et d’un caillou terne elle fait une pierre précieuse ; les parties constitutives demeurent les mêmes, mais une taille savante met en plein relief l’éclat et la beauté de la pierre.

Si l’on examine en détail les élémens primitifs qui font du citoyen des États-Unis un type nettement distinct de l’Européen dont il est issu, de l’Anglo-Saxon et du Hollandais, de l’Irlandais et du Français, de l’Espagnol et de l’Allemand, de l’Italien et du Scandinave dont le sang se mêle dans ses veines, on est surpris du peu de part que l’atavisme semble avoir eu dans la détermination de la race. Les quelques traits que l’on trouve çà et là et dont on peut suivre la filiation directe semblent rapportés, juxtaposés ; ils ne se relient que faiblement au fond même, ils s’en détachent sans effort et peuvent disparaître sans altérer l’ensemble. En revanche, nulle part l’influence du milieu ne se laisse mieux saisir et comprendre. Ainsi qu’en un miroir fidèle on voit s’accuser dans l’Américain, dans ses défauts et dans ses qualités, dans ses conceptions et dans ses idées le reflet de son sol, de son climat et des conditions premières de son existence. Dans ce miroir, apparaissent les facteurs dont le jeu puissant et constant, excessif parfois, a déterminé la prépondérance, de même que chez un forgeron on note le développement anormal des muscles des bras, chez l’artiste la souplesse des mains, chez le lutteur la carrure des épaules.