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ne possède jamais la véritable paix de l’âme ; « pour lui, cesser de pâtir, c’est cesser d’être. » Au contraire, « l’âme du sage peut à peine être troublée. Possédant par une sorte de nécessité éternelle la conscience de soi-même, et de Dieu, et des choses, jamais il ne cesse d’être, et la véritable paix de l’âme, il la possède pour toujours. » En même temps il a, pour Dieu et pour les hommes, l’amour éternel, car « il n’y a d’amour éternel que l’amour intellectuel. » — « L’amour de Dieu pour les hommes et l’amour intellectuel des hommes pour Dieu ne sont qu’une seule et même chose. » — Ceci nous lait clairement comprendre, conclut Spinoza, en quoi consiste notre salut, notre béatitude ; savoir : « dans un amour constant et éternel pour Dieu, ou, si l’on veut, dans l’amour de Dieu pour nous. »


III

Descartes conçoit naturellement le beau sur le type du vrai. Il disait un jour à Mme du Rosay qu’il ne connaissait pas de beauté comparable à celle de la vérité. Il ajoutait une autre fois que les trois choses les plus difficiles à rencontrer sont une belle femme, un bon livre, un parfait prédicateur. Chez une femme « parfaitement belle, » la beauté ne consiste pas « dans l’éclat de quelques parties en particulier ; » c’est « un accord et un tempérament si juste de toutes les parties ensemble, qu’il n’y en a aucune qui l’emporte par-dessus les autres, de peur que, la proportion n’étant pas bien gardée dans le reste, le composé n’en soit moins parfait. » On reconnaît ici l’esprit scientifique de Descartes, amoureux de ce qui est ordonné et systématisé, par cela même rationnel. Dans le corps vivant, selon lui, « la santé n’est jamais plus parfaite que lorsqu’elle se fait le moins sentir ; » la santé de l’âme est la connaissance du vrai : « quand on la possède, on n’y pense plus ; » il en est de même pour la santé dans les œuvres d’art, qui donne leur valeur fondamentale à la parole et au style. Le peuple, il est vrai, a coutume de se laisser charmer par « des beautés trompeuses et contrefaites ; » mais le teint et le coloris d’une belle jeune fille est différent « du fard et du vermillon d’une vieille qui fait l’amour. »

Descartes commença, nous dit-il, par être épris de la poésie, et ses derniers écrits furent des vers composés pour les fêtes qui, à Stockholm, suivirent la paix de Munster. Mais c’est la poésie abstraite des mathématiques et de la métaphysique qui devait surtout l’absorber. Un autre art généralement aimé des philosophes est la musique, où il semble que les harmonies intelligibles se font sensibles à l’oreille et au cœur ; Descartes eut toujours un grand