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façonné par l’illustre Arquier, elle chantait quelques couplets en patois provençal, la foule faisait chorus, et les applaudissemens méridionaux redoublaient, éclatans, répercutés au loin dans la campagne. Puis, pour résumer en quelques mots cette vie tumultueuse, la double liaison avec le comte de Turconi, l’amant qui paie, et avec d’Antraigues, le gentilhomme aventurier, mobile et inconsistant, percé à jour dans sa popularité par un pamphlet de Mirabeau, qui, après avoir étalé un libéralisme fougueux, devient le pire des jacobins blancs, le Marat de la royauté, et ne veut conserver de la Révolution que la guillotine ; le départ pour Genève en 1790, son mariage avec d’Antraigues, l’arrestation de celui-ci à Venise, les démarches qu’elle tente pour le sauver, la pension viagère de 1,000 ducats que lui fait l’empereur d’Autriche en mémoire des services rendus à la reine Marie-Antoinette (en qualité de surintendante de la musique de cette auguste princesse), les brochures, les missions secrètes, la cuisine des achats de conscience, des complots ténébreux, la vie à Londres, la domination despotique de la comtesse sur son vieux mari, enfin l’assassinat des deux époux le 22 juillet 1812, par un de leurs domestiques : une mort tragique, presque naturelle pour de tels personnages, à l’époque la plus tragique de notre histoire.


VIII

Mme d’Épinay[1], l’amie, la collaboratrice de Grimm, la correspondante de Galiani, imagina un jour de quitter à moitié sa propre enveloppe et de se réincarner dans l’âme de Clairon ; la voilà qui se promène dans sa chambre d’un air majestueux, humilie ses rivales, voit à ses pieds gentilshommes de la chambre, clergé, intendant des Menus, respire à pleins poumons l’encens poétique de Voltaire, et, portant la main à sa tête, y trouve au lieu d’un bonnet de nuit une couronne de papier doré. Cependant, on introduit chez elle deux apprentis comédiens qui viennent lui demander des conseils : le premier déclame une scène d’Alzire, elle croit entendre Lekain ou sa caricature, et, après quelque compliment ironique, s’empresse de le congédier ; le second n’était pas beau comme le premier, mais il avait de la physionomie, de l’esprit

  1. Correspondance de l’abbé Galiani, éditée par Lucien Perey et Gaston Maugras, t. II, p. 25 et suiv. ; — Jullien, Histoire du costume au théâtre ; — Arnault, Souvenirs d’un sexagénaire ; — Annales dramatiques, Anecdotes dramatiques, Dictionnaire des théâtres ; — Barrière, Mémoires des comédiens : — Souvenirs de Mme Vigée-Lebrun, de Louise Fusil ; — Œuvres de Brifaut ; — Hérault de Séchelles ; Voyage à Montbar ; — Mémoires de Marmontel, Fleury, Bachaumont, Collé, Grimm, etc. — Mémoires sur Talma, par Regnault-Warin.