Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/326

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

finances, ils obtenaient de l’Académie royale de musique la permission de jouer des pièces mêlées de couplets, auxquelles on donna le nom d’opéras-comiques ; mais, la Comédie-Française protestant plus que jamais, et l’Opéra augmentant d’année en année ses prétentions, la suppression de tous les spectacles forains, danseurs de corde et marionnettes exceptés, est ordonnée en 1719. Après mainte vicissitude, tantôt interdit, tantôt toléré ou autorisé, l’opéra-comique renaissait à la foire Saint-Germain, et Francisque Molin jouait avec succès l’Arlequin-Deucalion, de Piron. L’Arlequin-Deucalion cherche des matériaux pour fabriquer des hommes, et trouve un polichinelle en bois qui, à sa grande surprise, parle au moyen de la pratique d’un acteur placé sous la scène ; joie d’Arlequin exprimée par une pantomime expressive, mais, ô terreur ! ce polichinelle ne va-t-il pas le brouiller avec la Comédie ? Non, car ce genre de conversation n’est pas prévu par l’impitoyable parlement. — En même temps, aux Marionnettes étrangères de la foire, Fuzelier, Dorneval et Le Sage attirent la foule avec des pièces de leur composition où ils satirisent vertement les comédiens. Un moyen de braver les foudres de la Comédie consistait à acheter le droit de contravention, et par lui, le droit de représenter toutes sortes de pièces : mais cela coûtait fort cher, et les forains prêteraient tenter de s’échapper à travers les fissures de la légalité.

En 1760, Nicolet, fils de farceur et farceur lui-même, s’installe au boulevard du Temple : il ne peut ni chanter ni parler, doit se borner aux exercices d’équilibre et de voltige. Naturellement il s’émancipe, joue des opéras-comiques, des saynètes en vers et en prose, des pantomimes à machines : rappelé à l’ordre, il biaise, supplie les privilégiés de tolérer quelques libertés pour sa loge : « Mon nom caractérise, comme celui du cabaretier mon voisin, la drogue, la ripoupée… Laissez-moi rappeler à mes farces mes savetiers, mes soldats, mes marmitons et mes ravaudeuses. » Et tout doucement, il continue d’empiéter, et les plaintes de continuer, et l’autorité de tonner, mais de frapper le moins possible, car, répond le ministre aux protestations des envieux, il faut des spectacles pour le peuple. Le système de Louis XIV est changé. Ne convient-il pas en effet d’amuser cette nation qu’on gouverne si piètrement ? De tolérance en tolérance, Nicolet arrive à avoir trente acteurs, soixante danseuses, vingt instrumens, un répertoire de deux cent cinquante pièces ; en 1772, il joue, à Choisy, devant Louis XV et Mme du Barry ; même faveur à Audinot, qui, devant les mêmes personnages, représente : Il n’y a plus d’enfans, de Nougaret ; la Guinguette, de Plainchesme ; le Chat botté ou la Fricassée, d’Arnould, parade « très polissonne qui a fait rire à gorge déployée la comtesse. » Fondateur de l’Ambigu-Comique, Audinot