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jouent, avec l’agrément du roi, de petites pièces ; le jeune Baron entre dans cette troupe, mais Molière obtint de Louis XIV un ordre pour l’enlever à la veuve de Raisin, et la Troupe du dauphin vécut ; peu à peu, les troupes foraines s’organisent régulièrement, améliorent leur personnel, construisent des loges fixes, s’emparent du répertoire des comédiens italiens expulsés en 1697. Mais la Comédie-Française intervient, et, le 10 février 1699, sentence du lieutenant de police d’Argenson portant défense à tout particulier de représenter aucune comédie ou farce, condamnant Alexandre Bertrand, Maurice van der Beck et Alard, à 1,500 livres de dommages-intérêts. Appel au parlement, et en 1703, arrêt qui confirme les condamnations prononcées par d’Argenson. Afin d’éluder ces défenses, les forains imaginent déjouer des scènes détachées, des fragmens (que des personnes d’esprit prenaient soin d’arranger), et qui au dénoûment formaient une espèce de pièce. Et la foule d’accourir de plus belle. Nouvelles doléances de la Comédie, nouvelle sentence du lieutenant de police, appel au parlement, mais la lenteur des procédures permet aux persécutés de continuer leurs jeux aux foires de 1704, 1705. En 1706, d’Argenson leur interdit tous dialogues et colloques[1], les condamne à des dommages-intérêts, et, en cas de récidive, autorise la Comédie à démolir leurs théâtres. Dans ce pressant péril, les pauvres entrepreneurs implorent le patronage du cardinal d’Estrées, abbé de Saint-Germain, propriétaire du terrain où sont construites ces loges qu’il loue très cher : il consent à revendiquer les franchises de la foire, et présente requête au Grand-Conseil à l’effet de pouvoir assigner les comédiens. Mais, le 22 février 1707, le parlement rejette les requêtes du cardinal, et voilà les farceurs réduits au monologue. Tout n’est pas encore perdu : un seul acteur parlera, ses partenaires mimeront la réplique ; on a aussi la ressource des pièces à jargon, et voici un échantillon de ceHes-ci : il est tiré d’Arlequin Barbet, pièce chinoise en deux actes, de Le Sage et Dorneval.


ARLEQUIN, en robe de médecin. — Il va donc dîner.
LE COLAO. — Va dinao.
ARLEQUIN. — Et nous allons en faire autant ?
LE COLAO. — Convenio, demeurao, medecinao regardao dinao l’emperao.
ARLEQUIN. — Comment ? Ma charge m’oblige à le regarder faire ? (Le Colao lui parle à l’oreille.) Pour prendre garde à ce qu’il a mangé ? Et que m’importe à moi qu’il mange trop et qu’il se crève de choses nuisibles ?

  1. Emile Campardon, les Spectacles de la foire, t. II, p. 245 et suivantes.