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affichée… » Et pour ces raisons, les Italiens emboursaient bel et bien une condamnation à dix mille livres d’amende : affermer le chant, les vers, la prose dramatique comme le sel ou le tabac, enchaîner le talent des auteurs, entraver les plaisirs du public, rien ne semblait plus naturel. Cependant les Italiens, ayant obtenu à prix d’argent la suppression de l’Opéra-Comique (1762), et s’étant rendus tributaires de l’Opéra, se trouvèrent légalement en possession du droit de chanter, dont ils usaient d’ailleurs assez largement, en dépit des menaces et des procès. Anseaume, Marmontel, Sedaine, Favart pour les paroles, Duni, Grétry, Philidor, Monsigny pour la musique, fournissent le répertoire des pièces chantées ; auparavant Marivaux avait attiré la foule à l’hôtel de Bourgogne avec les Surprises de l’amour, les Jeux de l’amour et du hasard, les Fausses confidences, l’Epreuve, que Mme Balletti, la fameuse Sylvia, interprétait à ravir. Dans la seule année 1763, les recettes s’élevèrent à 700,000 livres, chiffre considérable pour l’époque. Insensiblement leur personnel devenait entièrement lyrique, et en 1780, tous les acteurs italiens étaient congédiés : Carlin lui-même ne parvenait pas à sauver le genre italien du discrédit où il tombait, Carlin Bertinazzi, l’ami du pape Clément XIV et de d’Alembert, l’arlequin le plus étonnant qu’on eût jamais vu, qui, pour son esprit d’à-propos, ses saillies dans les pièces à canevas, la gaîté gracieuse et le naturel de son jeu, demeura pendant quarante ans l’idole du public.

Les troupes foraines[1] qui donnaient leurs représentations aux foires Saint-Laurent, Saint-Germain, aux boulevards, furent de bonne heure en butte aux tracasseries des grands théâtres : elles ont pour alliés le menu peuple, qui ne connaît guère d’autres spectacles, les oisifs eux-mêmes, les jeunes seigneurs amoureux de distractions épicées, la complication et la lenteur des procédures, les conflits de juridiction ; les autres comptent de leur côté la magistrature qui veille au maintien des traditions. En 1505, les comédiens de l’hôtel de Bourgogne, qui prétendent expulser la troupe ambulante de Jehan Courtin et Nicolas Poteau, sont quelque peu malmenés, tandis qu’une sentence de police donne raison aux deux associés, à la charge de payer aux privilégiés deux écus par an. Joueurs de marionnettes, acrobates, arlequins, et au premier rang les Briochés avec Fagotin, le singe non pareil que Cyrano de Bergerac perça d’un coup d’épée, font la joie d’un public toujours plus nombreux. Vers 1662, les quatre enfans de Raisin, organiste de Troyes,

  1. Les principaux théâtres forains fuient l’Opéra-Comique, l’Ambigu-Comique, le Théâtre des Associés, les Variétés-Amusantes, les Ombres-Chinoises, les Petits Comédiens de Mgr le comte de Beaujolais, les Délassemens-Comiques.