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qui suivra le carrosse, il y marque une place pour « les officiers qui ne sont pas de mon régiment, mais qui pourront toutefois se trouver ici, s’ils le veulent bien. » Il ne croit pas que des capitaines suffisent pour descendre au caveau le corps d’un roi de Prusse, et il fait appel à la bonne volonté d’officiers-généraux, sans donner d’ordre. On dirait qu’il lui semble qu’après sa mort, il peut compter encore comme un colonel, mais pas plus. Après les décharges, quand les bataillons se sépareront, il commande qu’un détachement de grenadiers emporte les drapeaux, mais ces drapeaux ne sont déjà plus à lui. Il dit donc au prince : « Un détachement de grenadiers portera les drapeaux où vous l’ordonnerez. » Et la pièce se terminait par une sorte de prière : « Je ne doute pas, mon cher fils, que vous n’observiez exactement mes volontés. Je suis jusqu’au tombeau votre père affectionné. »

Cependant la journée du 29 et celle du 30 passèrent. « La maladie m’a la mine de traîner en longueur, » écrivait Frédéric à Wilhelmine, mais il croyait que la mort pouvait se présenter à l’improviste, et il rassurait sa sœur sur le compte des survivans : « Ne craignez rien ni pour la constance de la reine, ni pour mon stoïcisme ; nous ne nous démentirons ni les uns ni les autres, si le cas arrive. » Le 31 mai, à une heure du matin, le roi fit appeler M. Cochius. Dans les intervalles d’un râlement qui empêchait toute conversation, le pasteur l’exhortait à souffrir avec patience : « Plus votre travail est rude, sire, plus vous avez à souffrir, et plus grande sera la récompense. » Le roi l’assura qu’il avait détaché son cœur de tous les objets de son affection, de son épouse, de ses enfans, de son armée, de son royaume, du monde entier, et qu’il se trouvait allégé pour jamais de l’embarras de ces vanités, mais il se lamentait d’avoir perdu la mémoire : il cherchait ses prières et ne les trouvait plus. Il congédia le pasteur, car il avait beaucoup à faire dans sa dernière journée. Il avait convoqué pour cinq heures du matin le prince royal, les ministres, les officiers de l’état-major et les capitaines de son régiment. Il se fit d’abord conduire chez la reine, qu’il éveilla par ces mots : « Lève-toi, je vais mourir ; » puis dans les chambres des enfans ; Pöllnitz le rencontra, au moment où il en sortait : « Cela est fini, » lui dit le roi, qui, enveloppé d’une redingote blanche, et la tête enfoncée dans un bonnet, faisait peine avoir, tant il était abattu. Arrivé dans son antichambre, ceux qu’il avait mandés n’étant pas tous arrivés, il s’arrêta près d’une fenêtre dont la vue donnait sur les écuries, et ordonna qu’on fit sortir les chevaux afin que le vieux Dessau et le général Hacke en choisissent chacun un, qu’ils garderaient comme la