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prendront le cercueil et le porteront par la porte où le roi avait accoutumé d’entrer. Alors les hautbois se feront entendre, et Ludovic, maître de la chapelle, jouera de l’orgue. Le roi voulait être descendu au caveau par des officiers-généraux, et il espérait, disait-il, qu’il s’en trouverait bien quelques-uns qui lui viendraient rendre les derniers devoirs. Il n’avait jamais aimé l’éloquence et il détestait les mensonges solennels ; il défendait donc que l’on lit la harangue funèbre et militaire que l’on a coutume d’adresser aux troupes en ces sortes d’occasion. Point de discours ! mais vingt-quatre pièces de campagne de six livres de balles chacune feront douze décharges successives ; puis les bataillons feront feu l’un après l’autre, et l’artillerie tirera de nouveau. Après les décharges, les bataillons se sépareront ; chaque compagnie sera conduite devant le quartier de son capitaine, et chaque grenadier recevra une étrenne, comme cela se pratique dans le temps des exercices. Enfin le roi, donnant un dernier souvenir à sa cave, prescrivait qu’au souper servi le soir dans la grande salle aux officiers, on donnât de bon vin : « Je veux qu’ils soient bien traités, et qu’on mette en perce le meilleur tonneau de vin du Rhin que j’aie dans ma cave, et qu’en général il ne se boive ce jour-là que de bon vin. » Ainsi finira la journée, mais, quinze jours après, dans toutes les églises seront prononcées des oraisons funèbres sur ces paroles : « J’ai combattu le bon combat ; » seulement, ajoutait-il, « on ne parlera ni en bien ni en mal de mes actions, de ma conduite, ni de rien de ce qui me regarde ; on se contentera de dire à l’assemblée que je l’ai défendu, en ajoutant que je suis mort en me reconnaissant pécheur, et ayant recours à la miséricorde de Dieu et de mon Sauveur. » Enfin, comme c’était assez de cérémonies déjà et de dépenses, il ne voulait pas que ses domestiques fussent vêtus d’habits noirs ; ils garderont leur livrée avec un simple crêpe noir au chapeau : « En un mot, je prétends qu’on ne fasse pas tant de façons avec moi. »

C’est là un document sincère, où tout l’homme se retrouve avec ses habitudes d’ordonnateur, sa précision dans les arrangemens, sa franche manière de voir le réel, et le naturel humour qui naissait de cette franchise, avec la modestie dont il usait envers sa personne. Il n’avait fait qu’une concession à sa dignité royale : il voulut que l’on mît sur son cercueil, à côté de sa meilleure épée de munition, de sa meilleure écharpe et de sa meilleure dragonne, un casque et des éperons dorés à prendre dans l’arsenal de Berlin. À la modestie du roi pauvre et du roi chrétien s’ajoutait quelque chose comme la modestie d’un roi mort. Il ne commande qu’à son régiment. Quand il compose le cortège