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"2T8 KEVLE DES DEUX MONDES.

demandé à mon père l’autorisation d’y passer quelques jours, il aura refusé, elle se sera piquée au jeu.

Et elle ajouta avec une expression de soulagement : — Ne nous noircissons pas l’esprit ; tout cela n’est peut-être qu’une escapade d’écolier, et nous la verrons revenir avant peu.

Elle reconnut à mon air que je n’en croyais rien.

— Vous pensez donc que c’est plus grave ! Mon Dieul nous nous sommes souvent aperçues, ma sœur et moi, que mon père et ma mère étaient très froids l’un pour l’autre. Il est la droiture, la bonté même ; elle est très personnelle, mais elle est laite d’une argile plus fine, elle a des besoins de cœur et d’imagination qu’il ne comprenait pas... On peut ne pas s’aimer, mais à quoi donc a-t-elle pensé ? partir de nuit ! se sauver par une petite grille ! Ah ! monsieur Tristan, s’est-il rien passé en votre présence qui puisse expliquer cet inconcevable départ ?

Je n’eus garde de lui révéler tout ce que je savais ; elle avait encore des illusions, je me faisais une conscience de les lui ôter. Je me contentai de lui apprendre que son père, moi présent, avait reproché vertement à sa mère d’être revenue trop tard de la chasse, qu’elle avait mal pris cette réprimande, qu’on s’était échauffé de part et d’autre. Je ne lui parlai point de certain papier que j’avais retiré des cendres d’une cheminée et où j’avais lu ces deux mots : À demain !

Elle s’écriait sans cesse : — Eh ! oui, il l’a souvent blessée, et quelquefois sans le savoir et sans le vouloir. Mais enfin on ne se sauve pas de nuit par une petite grille ! Vous verrez qu’elle ne tardera pas à se repentir, qu’elle reviendra plus tôt que vous ne le pensez.

Cette fuite clandestine indignait sa fierté, et cette petite grille lui pesait sur le cœur. Passe encore de sortir au grand jour et par la grande porte ! Une heure durant, nous redîmes les mêmes choses, l’entretien tournait toujours dans le même cercle, elle ne se lassait pas de repasser tristement par les mêmes chemins. Nous discutions encore quand la cloche du dîner sonna ; qu’on soit dans le deuil ou dans la joie, elle sonne toujours. Sidonie se leva en me disant :

— Je n’ai que le temps d’aller me coiffer.

Et comme je paraissais surpris qu’elle pensât à ce détail dans un pareil moment :

— C’est surtout dans les jours comme ceux-ci, me dit-elle, qu’il faut être fidèle à ses habitudes ; elles seules, dans les grandes crises, nous rattachent à la vie.

Ce fut pour moi seul qu’elle se coiffa ; car à peine étions-nous