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LE SECRET DU PRÉCEPTEUR. 277

petit salon, d’un oratoire et d’une salle de bains. Elle en fit le tour. Quand elle revint, elle avait les lèvres blanches et ses jambes flageolaient. Elle se laissa tomber dans un fauteuil. Dès qu’elle fut plus calme et se sentit en état de parler :

— Elle n’a pas couché ici, dit- elle, en me montrant un lit qui n’était pas défait. Elle a dû partir au milieu de la nuit, et ces empreintes de pas... Oui, elle est sortie par la petite grille. Ce n’est que trop certain, et pourtant est-ce possible ?.. À la vérité, depuis quelque temps, je la trouvais très différente d’elle-même. Elle avait pour Niquette et moi des attentions qu’elle n’avait jamais eues. —Était-ce une feinte ? voulait-elle endormir les soupçons ? ou pensait-elle, en s’acquittant de ses devoirs de mère, racheter d’avance sa faute ? Elle est très dévote, et je n’ai jamais rien compris au cœur des dévots. Mais ce qui m’avait le plus étonnée, c’est qu’hier soir, vers dix heures et demie, contrairement à toutes ses habitudes, elle est entrée chez moi pour me souhaiter une bonne nuit. J’étais occupée à examiner une tache qu’un maître d’hôtel maladroit avait faite à ma robe : — « Il faut attendre jusqu’à demain, me dit-elle ; on ne voit les taches que de jour. Du reste, c’est une robe à soigner, elle te va à merveille, si ce n’est qu’elle tombe un peu trop par derrière ; c’est un petit défaut que ta femme de chambre, qui n’est point sotte, corrigera facilement. » — Elle entra à ce sujet dans de longues explications. — « Vous lui direz, répondis-je, comment elle doit s’y prendre. — Oh ! tu sauras bien le lui expliquer toi-même. » — Puis elle s’approcha de la fenêtre et murmura : — « Quel vent ! c’est un beau temps pour les voleurs. — Oui, lui repartis-je, ils pourraient aller et venir sans qu’on les entendît.» — Elle me regarda d’un air singulier en me disant : — « Tu crois ?.. Mais je m’oublie, je t’empêche de te coucher. Adieu, bonne nuit, ma fille. » — Je la reconduisis jusqu’à la porte, et comme je me baissais pour ramasser une épingle à cheveux, il me sembla qu’elle se penchait sur moi et effleurait des lèvres mon chignon. Je me relevai vivement, elle avait disparu... Mais à propos de robes, qu’a-t- elle fait des siennes ? Avec ses goûts de luxe et d’élégance, je la crois incapable d’être partie sans bagages.

Elle entra dans une grande alcôve garnie d’armoires, et les ouvrit l’une après l’autre ; la plupart étaient vides.

— Ah ! j’y suis, reprit-elle. Il y a quelques jours, elle a fait partir pour Paris trois énormes malles, et elle me dit qu’elle renvoyait une partie du trousseau de Niquette, qui ne pouvait convenir. Ce qu’il y avait dans ces malles, c’était son linge et ses robes... C’est donc à Paris qu’elle est allée. Sans doute elle avait