256 REVOE DES DEUX MONDES.
grinant son fils, en lui annonçant tous les malheurs que devait fatalement enfanter une union si mal assortie. Elle se plaisait à empoisonner par ses prophéties lugubres, par ses épigrammes, le bonheur de cet amoureux ; il semblait quelquefois mélancolique en arrivant à Mon-Désir, mais il en partait toujours content. Du reste, c’était à moi surtout que M me Isabelle s’en prenait de sa mésaventure. Pourquoi un niais, qui se targuait de connaître le cœur des femmes, lui avait-il donné l’assurance que M Ue Monique Brogues n’accorderait jamais sa main à M. Louis Monfrin ? Elle ne pouvait croire à ma bonne foi, elle me soupçonnait de l’avoir jouée. Un jour qu’elle était venue dîner à la villa, elle profita d’un instant où j’étais seul avec elle pour me dire, en me foudroyant du regard :
— Vous m’avez trompée, monsieur Tristan. C’est une chose que je ne pardonne jamais.
Je cherchais aussi à me persuader que c’était Monique elle-même qui me sauverait, qu’elle finirait par se raviser, que, prise d’un tardif repentir, elle ferait une de ces brusques évolutions, une de ces volte-faces imprévues, dont elle était coutumière, que, ne comptant guère avec l’opinion et attachant beaucoup moins de prix que M me Isabelle à la correction de la conduite, elle se dégagerait sans façon de sa parole et dirait non après avoir dit oui. Vaine espérance ! elle semblait s’appliquer à démentir toutes mes conjectures. Son humeur était désormais déplorablement égale ; chaque jour elle recevait M. Monfrin avec le même sourire, chaque jour elle lui parlait sur le même ton. Assurément je ne pouvais penser que l’amour fût venu ; mais elle paraissait prendre quelque plaisir à se laisser aimer.
Au demeurant, je ne l’approchais guère, je ne la voyais que de loin. La villa et ses habitans étaient en l’air ; du matin au soir, on était afïairé, agité, on ne s’appartenait plus, tout Ëpernay montait à Mon-Désir pour apporter ses félicitations, c’était un perpétuel défilé de visites, et dans les heures où l’on n’était pas occupé à les recevoir, on s’absorbait dans les apprêts du mariage, qui devait avoir lieu vers la mi-septembre. Le trousseau avait été commandé, et chaque jour on envoyait par lettres ou par dépêches des ordres et des contre-ordres. Après mûre délibération, on s’était décidé à taire venir de Paris une des plus habiles ouvrières de la maison célèbre qui avait l’honneur d’habiller la reine et les deux infantes de Mon-Désir. M me Brogues s’était chargée de la surveiller, de la diriger, et on se livrait à d’interminables discussions, on tenait des conciliabules, où la tranquille Sidonie n’était pas la dernière à dire son mot.
Les jeunes filles modernes auront beau faire, elles ressemble-