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LE SECRET DU PRÉCEPTEUR. 253

ture, que M. Monfrin adorait sa mère, avec laquelle il avait toujours vécu, qu’il ne prendrait jamais son parti de se séparer d’elle, de la condamner à la solitude, que d’ailleurs M me Monfrin était une femme beaucoup plus accommodante, beaucoup moins épineuse et revêche qu’on ne le pensait à Ëpernay.

— En ce qui concerne ses sentimens pour Monique, poursuivit-elle, elle m’a parlé tantôt de notre fille avec une véritable affection, elle m’a fait son éloge en des termes aussi chaleureux que délicats, et m’a assuré qu’elle ferait de son mieux pour lui rendre la vie douce et agréable.

M me Brogues ne se doutait pas qu’elle discoursit en présence d’un homme très instruit sur cette matière, à qui M me Monfrin avait fait connaître ses vrais sentimens pour M lle Monique Brogues, et qui savait cette Anglaise incapable de dissimulation et d’hypocrisie. En l’écoutant, je lui disais en moi-même comme Pascal à son jésuite : Mentiris impudentissime, et je me demandais quelle tarentule avait mordu cette indifférente, par quelle raison cachée elle mettait tant d’ardeur à faciliter, à presser la conclusion de ce mariage.

— Vous avez tout dit ? s’écria Monique. À mon tour de parler ! mais je tiens à m’assurer d’abord que personne ici ne songe à contraindre ma volonté.

— Nous connais- tu donc si peu ? lui dit sa mère. Nous n’entendons agir sur toi que par la persuasion, et j’ai voulu te donner le temps de réfléchir en demandant huit jours à M me Monfrin, délai qu’elle s’est empressée d’accepter.

— À quoi bon différer ? reprit Monique en se levant. À quoi bon réfléchir ? Ce que je veux aujourd’hui, je le voudrai dans huit jours.

Et debout devant la cheminée, calme, mais un peu pâle, détournant de nous ses yeux comme pour chercher dans l’air quelque être invisible, à qui elle lançait un regard de défi et de provocation :

— Vous désirez tous ce mariage ? Eh bien, je le désire aussi, et vous pouvez dès ce soir expédier votre réponse à M me Monfrin. Elle sera ma belle-mère, je serai sa bru. Dieu nous garde !

On l’entoura, on la félicita. M. Brogues était si content qu’il tendit les deux mains à sa femme, et, ce qui ne s’était jamais vu, lui donna un baiser sur le front à la racine des cheveux. Puis il dit à Monique, en l’embrassant, qu’il était heureux d’avoir une fille si raisonnable.

— - Prenez-vous-en à M. Tristan, répondit-elle ; je nejsais pas ce que M. Monfrin a bien pu lui promettre, mais en tout temps il s’est fait son avocat.

M me Brogues m’adressa un petit salut de remercîment, et je