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d’idées et de conscience qui fait le sujet, assez ordinaire peut-être, et le mérite, certainement très distingué, de cette comédie.

Gens de bien, M. et Mme Dubreuil le sont l’un et l’autre. En un coin de Paris, et du vieux Paris sans doute, ils partagent entre les offices de l’église voisine et les œuvres de charité leur vie retirée, bourgeoise, étroite et pieuse. Leur Adrien a grandi sous leur aile. Ils ont tout fait pour garder sa jeunesse immaculée, lui ménageant à la maison les plaisirs permis, tels que la lecture, la musique et le billard. Malheureusement, à la maison aussi, Adrien a rencontré les plaisirs défendus en la personne de Léontine, l’ouvrière, et voici que peu de jours avant d’épouser Mlle Suzanne Herbelot, il se résout à tout avouer. La liaison d’abord. Et de ce premier aveu l’effet est bien ce qu’il devait être, terrible assez plaisamment, dans cette sainte atmosphère, sur ces âmes droites jusqu’à la rigueur, innocentes jusqu’à la naïveté. Pauvres bonnes gens, qui croyaient et tenaient à la pureté de leur fils comme à celle d’une fille. Ainsi Adrien, leur Adrien, avait une maîtresse ! Au mépris de toute pudeur, de toute dignité ! s’écrie M. Dubreuil. — Que faire maintenant ? interroge le jeune homme penaud. — Rompre, et sur le champ, avec Léontine, s’entend. Mais quand le coupable, après la faute, en confesse les suites, oh ! alors l’émotion de M. Dubreuil tourne au tragique, je dirais presque à l’héroïque, et le digne homme, qui ne badine pas avec l’amour, s’en va tout courant demander la main de la séduite Léontine aux parens d’icelle, M. et Mme Sureau.

Ne les ayant pas rencontrés chez eux, il les convoque chez lui. Mais avant de leur donner sa parole, il faut la reprendre aux Herbelot. Voici justement Mme Herbelot. Elle a de l’esprit et du cœur. Dubreuil, à mots couverts, en se servant de la formule consacrée : « Des amis à nous, » lui fait entendre et ce qui arrive et ce qu’il a résolu : — « Vos amis n’ont pas le sens commun, » déclare tout bonnement Mme Herbelot ; elle le démontre à sa manière, et peu à peu, comprenant les sages raisons que déduit cette sage personne, le rigide Dubreuil se sent fléchir et se prend à douter si tout à l’heure il voyait juste en voyant si droit. Et devant la famille Sureau ses doutes augmentent cruellement. La famille Sureau se compose d’un père, ouvrier, d’une mère, concierge en retraite, de la séduite Léontine et d’Auguste, un petit frère. L’entrevue est excellente ; le père Sureau, ignorant jusqu’ici le nom du séducteur de sa fille, se répand en confidences familières, en remercîmens pour l’intérêt qu’on lui témoigne. Il demande cependant ce qu’on lui veut, pourquoi on l’a fait venir, et alors les Dubreuil, interdits, mal à l’aise, n’osant décidément affronter une telle alliance, finissent par proposer aux parens de Léontine, à Léontine elle-même, de lui chercher dans l’œuvre des Unions réparatrices qu’ils patronnent, un mari de bonne volonté. La pauvre fille se met à pleurer. Puisqu’elle ne