Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/196

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a par ici des gens, dit Robert de Sorbon, qui aiment moins à entendre parler de Dieu que de Roland et d’Olivier ; » et cependant, observe Gérard de Liège, cela n’est pas juste, car la mort du Christ est bien aussi dramatique que celle de Roland ; multi tamen compatiuntur Rolando et non Christo. L’orateur cède donc au torrent de la mode, mais il y cède volontiers, autant par goût que par nécessité, car lui-même est d’ordinaire du peuple, dont il a la psychologie élémentaire, les croyances puériles et les passions. S’il conte si bien des histoires de revenans, d’effroyables thaumaturgies, des aventures improbables, c’est, sachez-le, parce qu’il est le premier à s’en édifier, comme il est le premier à rire de ses farces. Alerte et de belle humeur, puisque « un bon serviteur de Dieu doit avoir le cœur gai, » il parle à ses gens, de même qu’ils l’écoutent, en toute simplicité. Il ne recherche pas les applaudissemens ; il raille au contraire ceux qui s’épuisent pour en récolter. « L’araignée, dit le bon Nicolas de Biard, fabrique avec ses entrailles de la toile pour prendre des mouches ; je connais des clercs qui s’étripent de même (eviscerant se) pour tisser des sermons afin d’attraper la mouche de la vaine gloire et des avantages temporels. » Telle n’est pas la méthode de Nicolas, dont les discours sans prétention ont eu tant de succès. Ni fanatique, ni pédant, il n’effleure jamais les problèmes épineux du dogme ; il cause tout bonnement de morale pratique, pour qu’il y ait dans le monde plus de charité et de vertu ; et il compte bien que les pécheurs, à force de l’entendre, finiront par s’amender : Non est lupus adeo incarnatus in ove quin fugiat si pastores continuent clamare : Ha, ha ! Unde bonum est frequentare sermones. À la vérité, il n’est pas toujours moraliste de bonne compagnie : il ignore la discrétion, les sous-entendus. « Nous sommes les chiens de garde du Seigneur, disaient les prêcheurs dominicains, chargés d’aboyer dans sa maison ; » ce n’est pas à des aboyeurs qu’il faut demander de la mesure. Frère Nicolas, pour sa part, était naturellement indulgent : il admoneste les pécheurs avec une aimable mansuétude, que ses confrères n’ont pas tous imitée. Cependant il aboie souvent, lui aussi, mais c’est contre les riches, les puissans de la terre, les dignitaires de toutes les hiérarchies : en quoi il est resté encore sous la robe de saint Dominique un membre de ce peuple égalitaire et frondeur qu’il exhorte : « Puisque nous sommes tous de même condition, celui-ci ne doit pas être fier à l’égard de celui-là. Des vases fabriqués par le même potier, avec la même argile et pour le même usage, n’ont aucune raison d’être orgueilleux. Or nous sommes tous l’œuvre du même ouvrier, formés de la même matière et pour la même fin, le service de Dieu. » On s’étonne à bon droit des hardiesses politiques que les