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saint Louis n’a pas prêché à la manière des docteurs, dans « l’argot de la rue de Garlande ; » la postérité de Maurice de Sulli a été plus nombreuse que celle de Pierre le Mangeur. Pour la première fois, au moyen âge, la prédication populaire hausse alors la voix, et triomphe. C’est que, à la renaissance littéraire, réservée à un cénacle de clercs cultivés, a succédé dans le sein de l’Église un renouveau de christianisme, un revival religieux. Bien différens des chanoines de Saint-Victor, les frères mendians, fils de saint François et de saint Dominique, ne sont pas des moines cloîtrés, riches et bibliophiles ; les fondateurs des instituts dominicain et franciscain les ont voués à la pauvreté évangélique et à l’enseignement du peuple. Il y en a bientôt qui annoncent, avec véhémence, la bonne parole sur toutes les grandes routes de l’Occident. Le clergé séculier, d’abord surpris, hostile et apathique, est entraîné à les imiter. Un jour vient où, dans les églises de Paris, des cardinaux comme Jacques de Vitri, des maîtres en théologie comme Robert de Sorbon, ne dédaignent point d’exhorter familièrement des assemblées d’illettrés.

Aujourd’hui l’éloquence sacrée est à peu près morte en France ; cela tient à des raisons profondes ; le « cours de rhétorique » que l’on proposait récemment d’instituer en faveur du père Monsabré n’y changerait rien. En Angleterre, au contraire, où tant de choses du moyen âge sont vivantes, le genre parénétique est encore florissant. Allez à Cambridge, par exemple, et écoutez le sermon qui est prêché, chaque dimanche, dans l’église universitaire de Saint-Mary-the-Great par l’un des plus brillans dignitaires du clergé anglican ; allez entendre ensuite au Tabernacle de Londres, où vibre encore la voix formidable de Spurgeon, un pasteur non conformiste. Ne dédaignez même pas de prêter l’oreille aux déclamations des prêcheurs forains de l’Armée du salut. Eh bien, l’orateur disert, gourmé, méthodique de Saint-Mary-the-Great représente, mulatis mutandis, et proportions gardées, saint Bernard ou saint Thomas ; le non-conformiste et le salutiste, c’est l’image du prédicateur populaire d’il y a six cents ans. Si vous ne vous endormez pas, vous louerez sans doute la science et l’urbanité de l’un ; mais ne riez pas des autres : s’ils sont souvent ridicules, ils sont sincères, instructifs et touchans.

L’aristocratie de la critique moderne n’est pas très favorable, avouons-le tout de suite, aux sermons populaires que le XIIIe siècle nous a laissés par centaines. Ils sont mal écrits[1], ils parlent aux bonnes gens la langue des bonnes gens ; ils sont semés de

  1. On remarquera toutefois que, comme ils ont été prononcés en langue vulgaire, la barbarie du latin de nos manuscrits ne saurait être mise à leur charge.