Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 115.djvu/187

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bourguignonne, qu’un biographe compare à « la flamme qui brûle les grands bois. » — « Quelle parole de persuasion il avait reçue de Dieu ! comme il savait le temps et la manière de prier, de consoler, de conseiller ! Ceux qui le liront en feront peut-être la remarque, mais nul ne le sait mieux que ceux qui l’ont souvent entendu. Lettré avec les érudits, simple avec les simples, sage et parlait avec les âmes spirituelles, il se faisait tout à tous, dans son désir de gagner tout le monde à Jésus-Christ… Le Seigneur, qui avait prédestiné Bernard à l’œuvre de la prédication, lui avait donné une voix forte dans un corps débile… C’est pourquoi, lorsqu’il prêcha les peuples de la Germanie, les Germains semblèrent entendre ses discours (qu’ils ne pouvaient comprendre à cause de l’idiome étranger) plus pieusement que la traduction des interprètes. »

Les prédicateurs victorins et bénédictins sont les représentans les plus notables de l’éloquence sacrée jusqu’au triomphe de la scolastique. Les autres instituts monastiques, Prémontré, Cluni, etc., ne produisirent guère de personnalités originales. Mais le clergé séculier ne céda pas entièrement aux réguliers les charges et les prérogatives de la chaire. À la vérité, la plupart des curés de campagne étaient trop paresseux et trop ignorans pour enseigner publiquement ; quelques-uns allaient jusqu’à salarier des prêcheurs ambulans qui parlaient au peuple à leur place ; un concile normand dut défendre en 1214 aux compagnies commerciales qui s’étaient constituées pour affermer la prédication dans les paroisses, de confier ce ministère à des laïques, et prohiba d’une manière générale ces étranges contrats de louage. Mais si de pareils abus déshonoraient trop souvent les églises rurales, chaque église cathédrale comptait, au pis-aller, parmi ses dignitaires, plusieurs hommes cultivés : l’évêque, le chancelier, l’écolâtre, les archidiacres, les chanoines du chapitre. Les noms et les ouvrages de quelques-uns de ceux qui ont exercé ces hautes fonctions au XIIe siècle, surtout dans l’église de Paris, sont parvenus jusqu’à nous. Ce sont des noms que les seuls érudits connaissent ; ils ont été entourés pourtant, il y a bien longtemps, d’une légitime auréole de célébrité : plaçons, au premier rang, Geoffroi Babion, chef de l’école épiscopale d’Angers dès 1095, orateur correct, concis, agréable, l’un des meilleurs latinistes d’un temps fertile en pasticheurs de l’antiquité ; ses sermons ont été constamment cités comme modèles pendant l’âge d’or de la littérature médiévale ; le XIIIe siècle, cependant, l’ignora, et l’on n’a déterré au XVIIe siècle une partie de son bagage que pour l’imprimer indûment parmi les œuvres et sous le couvert d’Hildebert de Lavardin. Combien de confrères et d’émulés de Geoffroi Babion ont reçu récemment de MM. Hauréau et