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de son port est très agréable. » Un autre voyageur moins connu, le citoyen Olivier, qui fut envoyé en mission scientifique dans le Levant par le conseil exécutif provisoire de 1792, et qui ne rapporta guère de son voyage que l’horreur de la tyrannie et de la superstition, décrit ainsi l’état politique de l’île : « Le législateur qui voudra observer l’influence des institutions et des lois sur les mœurs, le caractère et l’industrie de l’homme, doit principalement tourner ses regards vers un peuple qui, vivant sous le même ciel, sur le même sol, professant la même religion, diffère cependant de lui-même au point qu’il paraît méconnaissable. Après avoir franchi un petit bras de mer, je me suis cru transporté dans une autre région, sous un autre climat ; j’avais vu le Grec courbé sous le joug du plus affreux despotisme : il était fourbe, grossier, timide, ignorant, superstitieux et pauvre ; il jouit ici d’une ombre de liberté ; il est probe, civil, hardi, industrieux, spirituel, instruit et riche. Je ne retrouve plus ici ce mélange de fierté et de bassesse, qui caractérise les Grecs de Constantinople et d’une grande partie du Levant ; cette timidité, cette poltronnerie, qui occasionnent une crainte perpétuelle, cette bigoterie qui n’empêche aucun crime. Ce qui distingue les habitans de Scio des autres Grecs, c’est un penchant décidé vers le commerce, un goût vif pour les arts, un désir d’entreprendre ; c’est un esprit enjoué, plaisant, épigrammatique ; c’est quelquefois une sorte de gaîté folle et burlesque, qui a donné lieu au proverbe suivant : Il est aussi rare de trouver un cheval vert qu’un Sciote sage. Quelque vrai que soit le sens outré de ce proverbe à l’égard de quelques habitans de Scio, il en est un plus grand nombre qui savent allier la prudence la plus circonspecte à l’enjouement le plus vif et le plus aimable. Nulle autre ville, dans le Levant, ne présente une si grande masse d’instruction ; nulle autre ne renferme autant d’hommes exempts de préjugés, pleins de bon sens et de raison, doués d’une tête mieux organisée[1]. »

Le bon sans-culotte Olivier, dans la fougue de son enthousiasme, s’est fait peut-être quelques illusions sur l’esprit d’indépendance qui, à l’entendre, animait les habitans de Chio. En réalité, c’est à force de souplesse politique et de flatterie envers les puissans, que les Chiotes assurèrent le maintien de leurs franchises. Ils avaient, presque toujours, aux abords de la Sublime-Porte, un protecteur puissant, quelqu’un des leurs, arrivé par l’adresse et l’intrigue, et capable de leur servir de ministre

  1. G.-A. Olivier, Voyage dans l’empire ottoman, l’Egypte et la Perse, fait par ordre du gouvernement, pendant les six premières années de la république, t. II, p. 103. Paris, an IX.