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Bordeaux pour brûler le directeur des commis, et à propos duquel courut ce quatrain :


On a toujours bien dit : le papier souffre tout ;
Et malgré la blancheur qui fait son innocence,
Le roi lui fait donner la fleur de lis en France,
Et le donne à Deschiens qui le barbouille tout ;


à Bourvalais encore, que l’on désignera couramment comme l’un des originaux de Turcaret, et qui, au sortir de la Bastille, sera hébergé et choyé par d’Argenson, garde des sceaux et président des finances ; à La Noue enfin, cet autre modèle de Turcaret, d’après les contemporains, auquel l’auteur de notre pamphlet prête, dans une orgie de traitans, une apologie des coquineries, des vices et des inénarrables débauches de ses pareils, dont le cynisme naïf rappelle par le ton, sinon par le style, la harangue du sieur de Rieux, dans la Ménippée.

Notons surtout dans ces pamphlets, pour nous en souvenir en lisant Turcaret, que l’insolence des partisans qui insultaient à la misère publique était singulièrement aggravée aux yeux des contemporains par la bassesse originelle de la plupart d’entre eux. La Noue, par exemple, était fils d’un paysan des environs de Dreux. Mais ouvrons la Vie privée de Louis XV, ou mieux certain manuscrit, plus explicite, de la Bibliothèque nationale, contenant les « noms et origines de MM. les fermiers-généraux des fermes unies de France ; » nous en apprendrons de belles sur les pairs et compagnons des Grimod de La Reynière, des Dupin, des Saint-Valery, des Héron de Villefosse, des Le Mercier, tous nés et bien nés, eux, comme « les gentilshommes associés de M. Turcaret. » Voici, par exemple, Bragouze, venu de Montpellier à Paris, avec le bagage de Figaro « sans autre équipage qu’une trousse garnie de rasoirs ; » de La Bouexière, Dangé, anciens laquais, Fronlins pris sur le vif ; Audry, fils d’un pauvre boulanger ; de La Gombaude, fils d’une blanchisseuse de Rennes, etc. Turcaret devait paraître bien comique au parterre, en s’écriant : « Je vais à une de nos assemblées, pour m’opposer à la réception d’un pied-plat, d’un homme de rien, qu’on veut faire entrer dans notre compagnie. »

Bref, après avoir écume, comme il convient, tous les pamphlets précurseurs ou contemporains de Turcaret, auxquels l’Art de voler sans ailes a plus ou moins servi de modèle, et en tenant compte de tous les grossissemens inhérens au genre, on y voit clairement que l’opinion publique rendait les maltôtiers responsables, à tort et à raison, des misères et des hontes qui avaient