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échappé. Il n’a pu convaincre ni un des anciens ministres, M. Bourgeois, qu’il voulait placer à l’intérieur, ni M. Casimir Perier, sur qui il paraissait avoir compté, et il s’est dérobé à sa mission, sans respecter les convenances à l’égard du chef de l’Etat. Il a donné cet exemple d’un homme politique recevant une mission délicate du chef de l’État et livrant lestement au public le secret des délibérations du conseil, de ses négociations. Dès lors, à qui s’adresser ? Tout commençait à se compliquer. M. le président de la république, dans son embarras, a cru devoir se tourner vers M. Casimir Perier, qui est lui-même président de la commission du budget. Sans doute, par le lustre de son nom, par sa position, par la modération de ses idées, M. Casimir Perier semblerait appelé à être le chef d’un ministère de libérale conciliation. Peut-être n’a-t-il vu, dès ses premières négociations, que la difficulté de rassembler des élémens sérieux de gouvernement, peut-être s’est-il trop attaché, lui aussi, à ce mirage insaisissable d’une concentration chimérique. Toujours est-il qu’il s’est promptement découragé à son tour. Il fallait cependant en finir ; on ne pouvait rester sans gouvernement en pleine crise de toutes les forces sociales, en plein conflit entre le parlement et la justice. M. le président de la république a pris le parti de charger M. le ministre des affaires étrangères Ribot de refaire un cabinet, — et M. Ribot a fait un cabinet en quelques heures, sans se mettre en frais de combinaisons !

Au demeurant, c’est l’ancien cabinet, et c’est, si l’on veut, un autre cabinet. Il n’y a presque rien de changé. Il n’y a que deux hommes disparus, l’infortuné M. Ricard qui a péri l’autre jour sur la brèche et M. Jules Roche, — deux hommes de moins et deux hommes de plus, un député négociant du Havre, M. Siegfried, et un professeur, M. Charles Dupuy. La vraie nouveauté toutefois, le trait distinctif de ce ministère qui vient de naître ou de renaître, c’est qu’il s’appelle du nom de son nouveau président, le ministère Ribot, au lieu de s’appeler le ministère Loubet, que M. Loubet lui-même reste modestement au second rang, et surtout que l’ancien ministre de l’instruction publique, M. Bourgeois, passe comme garde des sceaux à la chancellerie. Que signifie maintenant ce ministère plus ou moins métamorphosé ? Quelles sont ses opinions, ses résolutions sur ces dangereux conflits qui agitent le monde parlementaire et le monde judiciaire ? Voilà précisément la question à laquelle il n’est déjà plus facile de répondre après les premières explications échangées au Palais-Bourbon et les premiers actes qui ont suivi ces explications. Elle est d’autant moins aisée à résoudre que, chaque jour, les incidens se succèdent, des difficultés nouvelles surgissent et qu’on finit par ne plus s’y reconnaître.

Précisons les choses. Assurément, M. Ribot, dans la déclaration qu’il a portée à la chambre pour son avènement à la présidence du conseil, a tenu un langage habilement mesuré, aussi digne que sensé.