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par lequel la chambre avait décidé qu’elle passerait à la discussion des articles était un semblant de victoire ; le vote de l’amendement qui détruisait tout était une défaite. M. le président du conseil avait probablement épuisé son feu de résistance. Et c’est ainsi qu’est passée au sénat une loi qui aurait pu être pour le ministère une occasion de relever son autorité par l’aveu d’une politique plus décidée, et n’a été pour lui en définitive qu’une occasion nouvelle de manifester ses tergiversations et ses faiblesses.

C’est la malheureuse condition de ce ministère à qui on n’aurait demandé pourtant que d’avoir un peu de volonté, un sentiment plus net des situations ; il ne vit que d’expédiens, de capitulations et de contradictions. M. le président du conseil, tout brave homme qu’il est, n’y peut rien. Il a pu l’autre jour avoir une sorte de succès personnel en ayant l’air de parler d’un ton un peu délibéré, le lendemain il se retrouvait au même point, — et ce qu’il y a de plus curieux, c’est qu’en croyant gagner ou intéresser la chambre par ses concessions, par ses faiblesses, il n’a fait que l’impatienter. La chambre lui donnait son vote, elle ne lui donnait pas sa confiance. Le gouvernement est resté précaire, toujours menacé, parce qu’il n’est pas un gouvernement, parce que, faute de direction, il laisse tout se compliquer, parce qu’il ne sait ni défendre son droit, ni intervenir à propos dans des affaires comme celle de Panama, ni faire sentir son autorité à de petits agitateurs qui le bravent. Il n’a de résolution ou une apparence de résolution que lorsqu’il s’agit de flatter des passions de parti, de suspendre des traitements de modestes desservans, de poursuivre de vexations fiscales quelques pauvres religieuses. Il ne sait plus que faire dès qu’il est en présence des grévistes, des syndicats, des organisateurs de sédition, ou plutôt il laisse tout faire ; il a d’inépuisables tolérances ! Tantôt ce sont des communes socialistes qui se moquent des lois et font des plans de fédération ; tantôt dans une ville comme Saint-Denis, ce sont quelques tyranneaux de municipalité, le maire en tête, qui offensent le sentiment public en interdisant aux prêtres d’accompagner les morts, ou qui suppriment la police pour s’attribuer l’argent à eux-mêmes ; tantôt, en province, c’est un maire qui laisse sans secours de malheureuses ouvrières, parce qu’elles ne sont pas affiliées aux syndicats. Tout récemment dans la Sarthe, à la Ferté-Bernard, à Saint-Calais, ce sont des maires qui ont l’indignité de fermer le bureau de bienfaisance à de pauvres gens, s’ils n’envoient pas leurs enfans à l’école laïque, — et qui mettent aussi peu d’orthographe que d’humanité dans leurs oukases.

Oui, en vérité, cela se passe ainsi ; ces imbécillités tyranniques de village sont encore possibles dans une nation civilisée. Et contre ces indignités, qu’a-t-on fait ? Jusqu’ici on s’est tu, on craignait sans doute de se compromettre. De sorte que pour le moment, tout bien compté.