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gorges, de sillons de fleuves, de petites plaines intérieures, — un triste chaos sans grandeur dans les bouleversemens, sans couleur dans les éventremens du sol : collines, plaines et gorges, tout est arrondi et mou, d’un pauvre relief, et nu. Le soleil déclinant allonge sur ce désert l’ombre découpée et svelte du Péristeri.

De petits hameaux et quelques champs cultivés occupent le fond des gorges et des plaines. Mais, de loin et au premier regard, ils ne font aucune tache ; les sillons moissonnés ne se distinguent pas du sol inculte, ni les maisons en boue, de la terre jaune. Au milieu de la descente, nous nous sommes arrêtés pour la nuit dans le plus grand de ces villages, à Koshani.

C’est un gros bourg d’une centaine de maisons. Nous découvrons tout à coup, au fond d’une cuvette, sur le bord d’un torrent dans les saules et les peupliers, ce village de laboureurs, entouré de sillons, encombré de buffles et d’arabas. Les terres sont aux mains de deux beys musulmans. La population chrétienne se compose de deux peuples, les Slaves qui se disent Bulgares et attendent, eux aussi, l’arrivée de cet archevêque, mais d’une attente fort placide, sans les fleurs, les fusils, les cierges et l’encens d’Okhrida, — et les Valaques. Les Valaques sont de beaucoup les plus nombreux.

Nous avons retrouvé chez ces Valaques l’esprit de certains muletiers d’Albanie. Ils parlent un grec que leur envierait plus d’un Athénien ; mais ne leur donnez pas le nom d’Hellènes et évitez la grande idée, Alexandre le Grand et la question des bérats. Ils ne veulent pas être Grecs, mais Valaques.

« Nous n’avons que du sang latin, » nous disait le soir un cafetier, chez qui nous causions en attendant la vermine et l’insomnie de la nuit. Nous, c’était lui et nous-mêmes. Dans leur école on n’enseigne aux enfans que le turc, le valaque et un peu de français… Valaque et Français, deux frères de mère, fils de la vieille Rome ! Leur nouveau patriotisme est de date récente : en 1878, ils étaient encore Hellènes, et leur école valaque ne s’ouvrit qu’en 1881. Mais ils ont aujourd’hui le zèle et, pour tout dire, le fanatisme des nouveaux convertis.

— Qu’est-ce que la Grèce ? Une pauvre montagne rongée par la mer, où les chèvres ne mangent pas à leur faim. Et les Grecs ? Un ramas de bavards et de fripons. Ils parlent et ils volent. Ils ont la prétention de représenter le christianisme et la civilisation, contre le Turc barbare et infidèle. Mais par le pain, ma to psomi, au nom du Christ, leurs évêques exploitent et tuent les nationalités ; au nom du progrès, leurs bacals empoisonnent et endettent le paysan. Peu à peu on apprend à les connaître. Le Bulgare s’est détaché déjà du patriarche et de l’hellénisme. Restent l’Albanais et le Va-