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À TRAVERS LA MACÉDOINE SLAVE.


comme aussi les cafetans des femmes chrétiennes et juives, sortaient presque toutes d’Okhrida. Le quartier slave fournissait les ouvriers, et le quartier grec récoltait les bénéfices. Les Hellènes commençaient à acheter des terres. L’école était grecque, et les médecins, Athéniens ou Grecs « du dedans. » Les jeunes gens allaient à l’Université d’Athènes. Qui parlait alors de Bulgarie ?

La concurrence européenne, autrichienne surtout et russe, a brusquement tué ce commerce. Les peaux de martre, de zibeline, de renard gris, se sont arrêtées à Odessa et ne sont plus venues en Turquie que manufacturées. En même temps, le lapin et les fourrures communes de Trieste avilissaient les prix des cafetans et des pelisses. Les Hellènes durent, un à un, fermer leurs fabriques. Ils sont allés, avec leur mobilité facile, s’établir aux centres de production ou de marché, à Trieste, Odessa, Bucarest. Mais, derrière eux, la semence hellénique, laissée dans le sol, continuait de germer, quand vers 1864-1866 parurent des étrangers, des Russes, qui parlaient de religion bulgare, de grande Bulgarie, d’oppression des Slaves, et qui, à l’appui de leurs discours, donnaient des argumens sonores, une piastre (20 centimes) au mendiant, et cent livres (2,300 francs) à l’honnête homme. Un parti bulgare fut créé.

Dans toute la Macédoine, ce parti n’a cessé de grandir. L’établissement d’une église bulgare, puis d’une principauté bulgare, porta un premier coup à l’hellénisme. Mais c’est de la révolution roumélioteque date la vraie blessure… Depuis cinq ans, tout est aux Bulgares. Ils ont pour eux la Porte. Ils se vantent d’avoir aussi toute l’Europe, et leur brouille avec la Russie n’a jamais été connue ou admise par ceux que des Russes avaient bulgarisés.

« Pour vivre en paix, soyez Bulgares ! pour gagner vos procès, soyez Bulgares ! pour éviter la corvée, soyez Bulgares ! pour usurper les champs, soyez encore et toujours Bulgares ! Constantinople obéit aux ordres de Sofia ! les préfets turcs ménagent ces puissans du jour, et les maîtres d’école, descendus de Sofia ou de Philippopoli, renversent par une dénonciation les cadis les plus vieux, les pachas les plus galonnés… Mais si vous désirez la palme du martyre, soyez Hellènes ! surtout depuis la révolte et la défaite des Cretois, la vie d’un Hellène n’est qu’un crucifiement. »

Inutile de dire que c’était l’Hellène Michaelis Papadoglou qui parlait ainsi. Il fut interrompu par la soudaine entrée de deux popes bulgares, les deux popes cuivrés qui nous avaient reçus là-haut à l’église de Saint-Clément. Tout le jour, la mèche allumée, près de leurs cierges, ils avaient attendu leur archevêque, sur la terrasse jonchée, près du beau fauteuil de velours. Il n’est pas