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les Strasbourgeois. Il est vrai qu’il a vu Strasbourg par la pluie, en courant, ou plutôt en pataugeant dans la boue, sur des pavés dont je ne veux pas prendre la défense, et nous avons vu que sa santé délicate ne savait pas s’accommoder du mauvais temps. La vie de Strasbourg est une vie très intime, où la cordialité s’allie à la culture de l’esprit et aux sentimens les plus généreux ; mais il faut en avoir vécu pour la comprendre. Même dans cette course si rapide, une chose l’a frappé, c’est de voir, dans l’église Saint-Thomas, les tombes des savans dont Strasbourg s’honore : les Oberlin, Koch, Schweighäuser, Lederlin, Emmerich, etc. « Bonne ville, qui honore ses professeurs ! Qu’ils viennent à Paris, et on leur dira ce que c’est qu’un professeur. » Voilà le fond de son sentiment, et voilà le vrai. Il ne faut pas après cela lui tenir trop rigueur d’avoir consigné, dans une correspondance intime, les impressions fugitives qui se succédaient dans son âme délicate et nerveuse, et, comme il nous l’a dit lui-même, aussi prompte à l’enthousiasme qu’à la critique, à Londres comme à Strasbourg.

L’homme de génie n’est pas moins sujet que les autres au découragement et aux abattemens, il y est peut-être plus exposé ; à chaque instant on croit qu’il va abandonner la partie ; mais il ne l’abandonne pas, et le combat se termine toujours par une victoire. Pour bien juger, il faut voir les choses d’un peu loin. La note juste du voyage d’Eugène Burnouf en Angleterre, il faut la chercher dans une lettre qu’il écrivait à Lassen, quelque temps après son retour en France. On me pardonnera de la citer presque en entier ; elle marque, avec cette précision scientifique qu’on trouve dans tous les livres d’Eugène Burnouf, le profit que les études orientales avaient retiré de son séjour à Londres, en même temps qu’elle donne de l’homme, de ses sentimens et de l’élévation de ses vues l’idée la plus haute et la plus pure.

« Le résultat le plus général de ces collations, c’est qu’il n’y a absolument qu’une seule rédaction des livres zends, quelles que soient l’origine et la date des manuscrits qui nous îos ont conservés. C’est un fait important qui les met sur le même pied que tous les grands livres de l’antiquité, comme les Védas et la Bible, lesquels sont venus à nous presque intacts et protégés par l’opinion qu’on avait de leur authenticité. Un autre résultat, non moins précieux pour les détails de l’explication et de la grammaire, c’est qu’il n’y a rien à changer aux règles que m’ont fournies les manuscrits d’Anquetil-Duperron. J’ai sans doute beaucoup de variantes ; mais ce ne sont que des différences d’orthographe dont nous avons maintenant les lois, du moins en partie. »

Voici maintenant pour les autres :