Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/469

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

entière à l’exaspération de son mari. Mareuil, jeté hors des gonds, finit par se décider, ou se résoudre au divorce. Il s’en ouvre à son ami Bressac, lequel naturellement pousse un cri d’horreur, et se met à défendre, avec l’éloquence que donne le danger, la sainteté du lien conjugal, ce lien fût-il une corde. Mais Gabrielle veut à tout prix le divorce et l’aura. Alors, se sentant perdu, l’aimable drôle improvise un dénoûment : il fait écrire par Margot à Gabrielle une lettre de menace, presque de chantage : si Bressac ne lui est rendu dans les vingt-quatre heures, elle avertira Mareuil. Gabrielle prend peur, et comme de plus elle vient à l’instant de surprendre entre Bressac et Suzanne un dialogue significatif, elle voit, elle sait, elle croit, elle est désabusée, et abandonnant le perfide à Suzanne ou à Margot, probablement à toutes les deux ensemble, elle saute au cou de son mari, qui déjà ne la comprenait pas, et maintenant la comprend moins encore.

La pièce de M. Wolff doit être comptée au théâtre du Gymnase comme un essai de relèvement dramatique et littéraire, plus littéraire que dramatique, Celles qu’on respecte n’étant qu’une mince, très mince comédie, moins en action qu’en paroles, mais du moins en paroles faciles, vives et souvent gaies. De ces trois actes, le second est le meilleur, le plus divertissant et le seul qui soit un peu poussé. L’impudence et l’impudeur de Suzanne briguant la succession amoureuse, qui lui paraît ouverte, de sa meilleure amie, a charmé les amateurs de ce que les « petits jeunes » appellent l’observation cruelle. Et nous avons goûté plus encore, pour sa vérité, qui cependant n’a rien ni de féroce ni même de très nouveau, l’entrevue orageuse de Gabrielle et de Margot et la gaillarde homélie de la marchande d’amour à sa concurrente déloyale. De même que les affaires, suivant le mot fameux, c’est l’argent des autres, les affaires de cœur ou soi-disant telles, d’après un préjugé qui se donne volontiers des airs d’idéal, c’est trop souvent la femme des autres. Eh bien, il vaut mieux que ce soit la femme de tout le monde, ou de personne. Cela semble à première vue plus grossier ; au fond, ce n’est que moins immoral. Voilà pourquoi Margot a raison contre Gabrielle. La leçon, encore une fois, n’est pas très neuve ; mais, telle que M. Wolff la donne, elle a paru bien appliquée.

Pour le reste, la légère comédie a quelque chose d’un peu superficiel et d’artificiel aussi. Elle ne porte pas bien loin. Le titre seul annonçait plus de prétentions, ou d’intentions, une plus large et plus profonde étude des femmes respectées sans être respectables. Je sais bien, et c’est même une des petitesses, ou toute la petitesse de l’œuvre, que pour des Gabrielle et des Suzanne, personne jamais ne s’avisera