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triomphe de la volonté sur la nature, c’est l’idéal, absolument réalisé, de la dignité humaine.

De ce point de vue, exclusivement moral, on pourrait considérer l’œuvre entier de Beethoven. Mais il faut choisir, et c’est naturellement la symphonie héroïque qui s’impose à notre choix.

Dès la plus haute antiquité, la musique, non contente d’inspirer l’héroïsme, a cherché à l’exprimer. Un des premiers tableaux de bataille en musique fut, sans doute, certain « nome pythique » où Timosthène, amiral de Ptolémée II Philadelphe, avait figuré le combat d’Apollon contre le serpent Python. Il faisait assister l’auditeur, nous rapporte Strabon, aux préparatifs du combat, puis aux premières escarmouches ; au combat lui-même, aux acclamations qui suivaient la victoire, enfin à la mort du monstre « dont on croyait entendre les derniers sifflemens, tant l’imitation des instrumens était parfaite. » On voit que le fameux combat de Siegfried avec le dragon, dans la Tétralogie, a été renouvelé des Grecs.

Au XVIe siècle, une des plus célèbres compositions musicales fut la Guerre, de Jannequin, ou la Bataille et défaite des Suisses, description symphonique et chorale de la bataille de Marignan. « Quand on chantoit, écrit un contemporain, la chanson de la Guerre, faite par Jannejuin, devant le grand roy François, pour la belle victoire qu’il avoit eue sur les Suisses, il n’y avoit celui qui ne regardast si son épée tenoit au fourreau et qui ne se haussast sur les orteils pour se rendre plus bragard et de la riche taille. »

Depuis Marignan, vingt autres batailles ont été mises en musique : Prague, Jemmapes, Austerlitz, Iéna (celle-ci fut même réduite pour deux flûtes), Fleurus, Marengo, Wagram. Il existe un combat naval de Dussek et un autre de Steibelt ; de Steibelt encore un incendie de Moscou. Enfin, en 1813, Beethoven composa la Bataille de Vittoria ou la Victoire de Wellington, œuvre purement imitative et que le maître lui-même traita un jour de dummheit (bêtise). Nous pouvons l’en croire et laisser là toutes les symphonies militaires pour nous en tenir à la symphonie héroïque.

Berlioz a dit avec beaucoup de justesse : « On a grand tort de tronquer l’inscription placée en tête de la troisième symphonie par le compositeur. Elle est intitulée : Symphonie héroïque pour fêter le souvenir d’un grand homme. On voit qu’il ne s’agit point ici de batailles ni de marches triomphales, ainsi que beaucoup de gens, trompés par la mutilation du titre, peuvent s’y attendre, mais bien de pensers graves et profonds, de mélancoliques souvenirs, de cérémonies imposantes par leur grandeur et leur tristesse, en un mot de l’oraison funèbre d’un héros. » De la symphonie héroïque, comme de presque toutes les œuvres de