Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/437

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme dans la Marseillaise, et l’effet est par là diminué. Autres exemples de mélodies héroïques et pareillement rythmées : les couplets de Claire : Egmont prend sa lance ; la phrase célèbre du finale de la Symphonie héroïque ; le finale des Huguenots : Pour cette cause sainte ; celui de Guillaume Tell : Si parmi nous il est des traîtres ; la Chevauchée des Valkyries. Les anciens n’ignoraient pas les rythmes de cette espèce et leur reconnaissaient le privilège d’exprimer la hardiesse. L’anapeste était de ceux-là. C’était le rythme des chants guerriers que Tyrtée composa pour la jeunesse de Lacédémone et, par une étonnante correspondance, c’est encore le rythme de la Marseillaise. À trente siècles de distance, deux grands cœurs ont battu à l’unisson pour la liberté et pour la patrie.

Dans l’ordre de l’héroïsme purement guerrier, je ne connais qu’une page égale, supérieure même à la Marseillaise, sinon par l’âme, au moins par l’art : c’est la Marche hongroise de Berlioz, dans la Damnation de Faust, la plus belle symphonie descriptive qu’ait peut-être inspirée la guerre. La guerre est là dans toute sa gloire, avec ses pompes éclatantes, les casques au soleil et les drapeaux au vent. Les troupes défilent d’abord : des triolets nerveux, un petit thème pimpant, que relèvent les pizzicati chers à Berlioz, marquent le pas des bataillons. Ici encore on retrouve le rythme analysé plus haut : le départ en levant. Bientôt commence une admirable progression symphonique. Ils passent, les héros, par centaines, par milliers ; les régimens s’entassent dans les plaines immenses, et voici la bataille engagée. Régulièrement, entre les coups de grosse caisse, reviennent les triolets caractéristiques sur le fond sombre des trémolos qui s’appellent, se cherchent les uns les autres. Soudain un autre thème éclate ; des gammes de trombones passent comme des volées de mitraille. Si jamais on a pu dire d’un morceau qu’il marche, qu’il est lancé, c’est bien de celui-là. Toutes les masses instrumentales s’attaquent et se repoussent ; les triolets obstinés livrent des assauts furieux ; enfin cette fumée sonore s’éclaircit et laisse reparaître vainqueur, hurlant à plein orchestre, le motif du début : Comme il sonna la charge il sonne la victoire, et s’achève dans la folie du triomphe.

En nulle autre page de musique on ne saurait mieux étudier que dans les précédentes l’héroïsme purement guerrier, l’héroïsme, pour ainsi dire, à l’état simple. Combinons-le maintenant avec les trois sentimens analysés naguère, et sous l’influence de l’amour, de la nature et de la religion, nous le verrons prendre des aspects nouveaux.