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tantôt sérieux, tantôt joyeux ou gaillards. La célèbre chanson du Franc archer est un type de ce dernier genre ; aussi la chanson de l’Homme armé, que rappellerait un peu notre célèbre romance : Guernadier, que tu m’affliges ! À côté de la veine héroïque, c’est la veine militaire. Elle a persisté jusqu’à notre époque ; elle a donné au genre français de l’opéra-comique une teinte à demi touchante, à demi vulgaire, une larme de chauvinisme bourgeois. De là viennent les grands airs de soldat et de marin, les descriptions de combat sur terre et sur mer : Ah ! quel plaisir d’être soldat ! Partons, la mer est belle ! C’est la corvette fraîche et coquette, et : Salut à la France ! et Vive le vin, l’amour et le tabac ! et jusqu’au J’aime les militaires, j’aime, de la Grande-Duchesse, si plaisamment imité du finale de la symphonie en la.

La musique militaire proprement dite commença d’être organisée par Louis XIII. Louis XIV, Louis XV la favorisèrent beaucoup. Le maréchal de Saxe voulait qu’elle accompagnât non-seulement les combats, mais les manœuvres stratégiques. « On ne doit jamais, écrivait-il dans ses Mémoires, manquer de faire travailler les soldats en cadence au son des tambours et des instrumens de guerre. Les sons ont une secrète puissance sur nous, qui dispose nos organes aux exercices du corps et les facilite. »

À cette époque parurent plusieurs marches célèbres, entre autres, celle de Dessau, dont Meyerbeer devait plus tard tirer parti dans l’Étoile du Nord. Alors aussi passa d’Allemagne en France l’usage de faire jouer les orchestres militaires dans les endroits publics.

Mais c’est de la Révolution que date vraiment l’éclosion, ou l’explosion de la musique héroïque. Notre Conservatoire est d’origine militaire : il fut formé par Sarrette, capitaine de la garde nationale et excellent musicien, avec quarante-cinq instrumentistes du dépôt des gardes françaises, pour la plupart enfans de troupe de ce corps. Ce petit orchestre enseigna le premier la Marseillaise aux soldats en haillons qui se chargèrent bientôt de l’enseigner au monde.

Et le monde a été bouleversé par elle. À son souffle se sont allumées les guerres sacrées, mais aussi les stupides émeutes et les révolutions atroces. Patronne de l’héroïsme, elle l’a été du crime. Par elle le jour de honte, après le jour de gloire, est arrivé, et la vierge, armée pour courir aux frontières, a traîné comme une fille dans le ruisseau de la rue. N’importe ; les pires excès de la Marseillaise ne l’ont pas déshonorée. Qu’elle répudie de fâcheuses alliances et aussitôt elle se purifie ; ceux-là mêmes qu’elle a mis en deuil lui pardonnent, et sur les marches des trônes qu’elle a ébranlés, on a vu des rois l’écouter debout et le front découvert.