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pouvait s’entendre, et les pourparlers furent rompus. Palacio envoya en Europe un agent officiel avec la double mission de solliciter, à Paris, le retour de Guzman Blanco et de négocier, à Londres, un emprunt gagé sur la promesse de concessions à la Grande Bretagne dans le différend relatif aux territoires des rives de l’Orénoque confinant à la Guyane anglaise.

Il n’en fallait pas tant pour blesser les susceptibilités nationales et grossir le nombre des insurgés. Les hostilités reprirent. Crespo, laissant son lieutenant Mora surveiller Valencia, dirigea une partie de ses forces sur Ciudad-Bolivar, la dernière place forte de Palacio sur l’Orénoque, avec ordre de s’en emparer. Pendant ce temps, le général Granjos, chargé par lui de couper les communications entre l’armée ennemie et Trujillo, faisait sauter, avec la dynamite, le camp du colonel Villafana à la Chita-Hill, et les Llaneros achevaient à coups de sabre ceux que l’explosion n’avait que blessés. De son côté, Mora, l’Aigle noir, comme l’avaient surnommé ses Indiens enthousiasmés de sa bravoure, frémissant de ne pouvoir mettre la main sur la riche proie de Valencia, s’emparait du port de Tucacas, situé en face de Puerto-Cabello, et le général Nuñez emportait, près d’Ejido, le camp retranché des avant-postes de Palacio, nonobstant la résistance énergique du général Ariez.

Palacio chancelait sous ces coups répétés. Il avait successivement perdu la ligne de l’Orénoque et les États du sud, ceux de l’ouest et la ligne des Andes, ceux de l’est et le delta du fleuve. Il ne tenait plus que Ciudad-Bolivar menacée, Valencia bloquée, Puerto-Cabello serrée de près au sud et à l’ouest, Caracas, la capitale, et la Guayra, son port, où il ne se maintenait que par la terreur. Dans ce cercle étroit, il concentrait ses troupes, comblant par une conscription forcée les vides faits dans ses rangs, enrôlant des enfans de quatorze ans, sentant approcher l’heure du choc final qui devait consommer sa chute ou relever sa fortune. Il n’avait, d’ailleurs, plus le choix du terrain sur lequel livrer le combat suprême. Il lui fallait, ou briser le cercle de fer qui enserrait Valencia, ou laisser tomber la grande ville, dont la prise entraînait celle de Puerto-Cabello et découvrait Caracas.

Située dans une magnifique vallée de cinq kilomètres de largeur, qu’encadrent, à l’est, les chaînes de l’Hilaria et de San-Diégo, à l’ouest celle de Guataparo, et qu’arrose une rivière aux eaux claires et limpides se déversant dans le lac Ticarigua, Valencia, dominée par l’El-Morro, colline granitique de 300 mètres d’altitude, mériterait, mieux que Caracas, d’être la capitale du Venezuela. Ce ne fut pas sans longs débats que l’on se décida à choisir cette dernière comme siège du gouvernement. Plus difficile