Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 114.djvu/362

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’avance sur les durs chemins qu’en frémissant de toutes ses vitres et il serait aussi impossible d’échanger une phrase avec son voisin que de dialoguer dans le tintamarre d’une fusillade. Aux arrêts, on entend le murmure des ruisseaux coulant avec un bruit de petites rivières rapides le long d’ornières de pierre creusées de chaque côté de la voie.

Les églises sont déjà ouvertes, paraît-il : une longue nef pleine de femmes agenouillées, prosternées sur le petit tapis destiné à les préserver du contact des dalles et qu’à chaque séance elles apportent et remportent sur leur bras, entortillées dans leurs mantes noires, presque toutes entièrement vêtues de noir, car le deuil est ici la couleur de la dévotion. Un chœur illuminé de petites flammes brillant au-dessus des énormes cierges. Ce tableau a passé comme une vision dans le jour du matin indécis tout imprégné encore du froid de la nuit.

La population d’Arequipa est réputée fanatique à plusieurs centaines de lieues à la ronde. Qu’est-ce que ce doit être, se demande-t-on, lorsqu’on a eu l’occasion d’entendre plus loin le sermon d’un père jésuite hispano-américain ?

Les maisons sont singulières, à un, rarement à deux étages, sans toit, arrêtées immédiatement au-dessus de la corniche par une terrasse, inachevées, dirait-on, ou bien mutilées comme les restes d’une ville antique. Et il y a du vrai dans ces deux suppositions : Arequipa a beaucoup souffert des tremblemens de terre, et, d’autre part, sur ce sol dangereux, on construit le plus souvent des habitations dépourvues des accessoires capables de les alourdir.

On voit des façades peintes en bleu pâle, en violet, en rose. La vieille et pittoresque architecture espagnole, empêchée par le cadre de faire grand, conserve de l’originalité dans les détails. On retrouve les massifs portails à marteaux ouvragés, garnis de clous énormes, disparus des villes françaises, et parfois, au-dessus d’une porte ou au coin d’un mur, s’étale un large blason sculpté, d’un dessin compliqué, au relief usé par le temps comme l’effigie d’une pièce qui a beaucoup couru. Des maisons qui ont chacune une physionomie, comme des individus.

Telles m’apparaissent les rues d’Arequipa à vol de tramway. Je les aurais regardées avec moins d’intérêt si elles n’avaient pas précédé pour moi la vue de celles de La Paz, ville unique, de la même famille que celle-ci, mais plus montée en couleur, plus accentuée en personnalité, parce qu’elle est isolée au loin, que les tremblemens de terre ne l’ont pas visitée, qu’on a peu eu l’occasion de la retoucher.

Le soleil est franchement levé, et son action s’est fait