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très amateur de musique militaire, et la révolution qui sévit a multiplié les o bandes » au point que nous entendrons leurs accords tout le long du rivage que nous festonnons. Cette harmonie répandue dans l’air donne à notre voyage quelque ressemblance avec la circumnavigation d’un pays de contes de fées, et va bien à cette côte dont les noms sont sonores, gais, dont les noms sont chantans ; à cette mer qui, justifiant à partir de la Patagonie son nom de Pacifique, est presque perpétuellement tranquille ; à ce climat qui, dans le temps d’hiver où nous sommes, est égayé par le soleil de nos plus belles journées de printemps, et dont l’été est doux et lumineux.

Le parc m’a paru inférieur à sa célébrité locale. Il est étendu et coûteusement entretenu, mais composé de pièces régulières et petites, indéfiniment répétées, monotones dans cet espace où il y aurait tant de place pour de grands arbres et de larges avenues. — Vu de près, le castel perd beaucoup, perd tout. C’est une construction bizarre sans originalité, qui rappelle tout de suite la maison crénelée que Jérôme Paturot, atteint de la folie des grandeurs, reçut des mains de l’architecte moyen âge et chevelu.

Por la razon o la fuerza ! C’est la devise du Chili, l’inscription qui entoure ses monnaies. — C’est la force qu’on exerce au moment où nous débouchons sur la Plaza de armas. Un bataillon manœuvre sous les ordres criés d’une voix en même temps forte et chevrotante par un colonel de haute stature, à barbiche blanche, portant un uniforme et un képi noirs, à galons d’or, proches parens de notre costume militaire. Les officiers en tant que correction sont parfaits, seulement les mouvemens de la petite troupe laissent à désirer. Mais il paraît que ce n’est que de la garde nationale.

C’est la guerre civile ! Le sud gouvernemental et balmacédiste qui s’entraîne pour accueillir l’attaque des gens du Nord, des révolutionnaires d’Iquique.

L’armée régulière, celle qui a battu les Péruviens et les Boliviens, est disciplinée et commandée par des officiers instruits. Elle est la plus solide de toutes celles de l’Amérique espagnole. Car les Chiliens sont des batailleurs ; c’est le seul peuple qui, dans cette moitié du Nouveau-Monde, ait le tempérament envahisseur, caractère qui les a fait comparer aux Allemands. Malheureusement pour leur empire projeté, ils ont aussi dans le sang le germe qui engendre les pronunciamientos, et s’ils étaient en retard à cet égard sur les autres républiques, ils sont en train de les rattraper à pas de géant.

Quoi qu’il en soit, les Chiliens sont la nation la mieux organisée, celle qui a le plus d’initiative, d’esprit de suite, de l’Amérique