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bien avant d’en arriver à son vingtième milliard, la pauvre terre, épuisée, aurait demandé grâce. Les sombres prédictions de Malthus ont eu le tort de se produire au commencement d’un siècle qui allait leur opposer d’éclatans démentis, puisque de merveilleuses découvertes ont permis aux subsistances de s’y multiplier plus vite encore que les consommateurs. Mais tôt ou tard, le dilemme malthusien aura sa revanche, et il faudra bien que l’espèce humaine prenne un jour son parti d’un état stationnaire comme celui dont la France lui donne prématurément l’exemple. Pour en arriver là, le déclin naturel des natalités vaudrait mieux, de toute façon, que le retour des mortalités désastreuses dont, à certaines époques, la guerre, la famine et la peste ont été les impitoyables agens. On pourrait donc souhaiter sincèrement de voir tous les peuples à la fois se mettre à réduire leurs postérités dans des proportions égales. Mais, ce beau parallélisme n’étant pas dans la nature des choses, il est difficile de penser que le globe, avant d’arriver à son maximum de peuplement, ne doive pas redevenir le théâtre de terribles conflits où se jouera la vie même des nations et dans lesquels le nombre aura chance de l’emporter, finalement, sur toute autre cause de supériorité. Qu’adviendra-t-il alors de la France et des Français si, longtemps avant nos voisins, nous renonçons à serrer les rangs ? La difficulté est ici la même que lorsqu’on parle du désarmement. Le jour où l’Europe désarmerait tout entière et définitivement, un universel cri de joie pourrait retentir de Gibraltar à l’Oural et du Finistère au Bosphore. Mais à désarmer seuls, à désarmer avant les autres, ne nous exposerions-nous pas à être, à la première occasion, envahis, écrasés, détruits ?


VII

Puisqu’il est trop tôt pour que nous puissions impunément renoncer à élargir nos cadres, il faut bien admettre que la dépopulation de la France serait un grand malheur, serait un grand danger ; et les pouvoirs publics ne feront que leur devoir en mettant à l’étude les moyens de conjurer ce que M. Frary appelait « le péril national. » Le problème est ingrat, nous le savons, et le succès douteux. Mais faut-il en conclure qu’il n’y a rien à tenter ? Devons-nous prendre modèle sur le fanatisme oriental qui dit : « C’était écrit ! » et qui n’essaie pas même de lutter ? Par cela même que les causes de notre stérilité sont multiples et complexes, on a pu, à défaut d’un remède héroïque sur lequel il ne faut pas compter, suggérer toute une série de mesures utiles qui s’entr’aideraient l’une l’autre. Nous nous garderons bien d’entreprendre ici la discussion et même l’exposé détaillé